L’art d’interviewer un Tebboune

Lors de l'entretien accordé par le président algérien Abdelmadjid Tebboune à la chaîne publique algérienne AL24, le 11 juillet 2024.

TribuneÀ force de regarder, en me tenant les côtes, ces saynètes hilarantes, je suis devenue capable de les imaginer moi-même.

Le 13/07/2024 à 08h54

Quand il m’arrive de m’ennuyer, je vais sur YouTube et je regarde une interview de Tebboune Abdelmagid (ou Abdelmadjid, comme ils disent là-bas, adeptes qu’ils sont d’ajouter des consonnes un peu partout pour faire riche). Loin d’être un supplice, tant la nullité du m’qaddem de l’Algérie crève les yeux, un tel spectacle a le don de me dérider. C’est une sorte de duo comique, le Président et le larbin qui l’interroge, qui rappelle aux plus anciens les irrésistibles sketches de Pierre Dac et Francis Blanche.

À force de regarder en me tenant les côtes ces saynètes hilarantes, je suis devenue capable de les imaginer moi-même -il me suffit de fermer les yeux. Un exemple:

- Monsieur le Président, vous êtes un homme d’exception, un aigle, un génie. Comment faites-vous pour rester modeste?

- C’est simple. Je me dis que je ne suis, au fond, qu’un Algérien. Nous sommes la crème de l’humanité, les plus beaux, les plus forts. Il est donc normal que j’aie toutes ces qualités que vous pointez. Et quelques autres, d’ailleurs, mais je suis bien trop modeste pour les mettre en avant.

- Monsieur le Président, grâce à vous, l’Alchirie est devenue en quelques années un pays émergent. Comment avez-vous réussi cet exploit?

- C’est simple. J’ai libéré les Algériens en les mettant en prison. Je veux dire que… iwa… je veux dire que j’ai libéré les énergies des Algériens en mettant en prison quelques milliers d’entre eux. Ça a encouragé les autres.

- Monsieur le Président, grâce à vous, le monde entier reconnaît maintenant l’excellence des produits made in Algeria. On les trouve partout. Même les Allemands délaissent aujourd’hui leurs Mercedes et leurs BMW pour acheter les voitures que nous fabriquons à Ouargla et à Boumerdès. Comment avez-vous réalisé ce que personne ne croyait possible?

- C’est simple. Avec notre ministre de l’Industrie -pas celui qui est en prison, l’autre-, nous avons établi un plan de montée en puissance de nos usines de fabrication d’automobiles. Le plan prévoyait de commencer à exporter des voitures made in DZ en l’an 2124. Ensuite, le ministre de l’Économie a changé la base de calcul de notre production en remplaçant tous les 1 par des 0. Et c’est pourquoi nous avons officiellement vendu en Europe cent mille berlines de modèle Tozz en 2024, avant d’en vendre vingt millions en 2125 -pardon, en 2025.

- C’est tout simplement fabuleux. Monsieur le Président, grâce à vous, des milliards de mètres cubes d’eau dessalée sortent de nos installations flambant neuf. Que répondez-vous aux mauvais esprits, à Tiaret et ailleurs, qui affirment qu’ils n’en voient pas une goutte?

- J’en ai parlé à notre ministre de l’Intérieur. Il m’a assuré que nos ennemis éternels, naturels et immarcescibles, je veux dire França et l’Merrok, volent notre eau à la sortie des tuyaux, avec l’aide du MAK. Mais notre force de frappe ne va pas tarder à les frapper, v’lan!, pour les obliger à recracher tout ce qu’ils ont bu.

- Monsieur le Président, grâce à vous, le monde entier admire l’Algérie. Cependant, notre voisin de l’Ouest attire des millions de touristes, alors que le nôtre, où l’on trouve pourtant la Grande Muraille de Chine, le Colisée, le Taj Mahal et la plus grande mosquée du monde, ne voit déambuler que quelques voyageurs vénézuéliens ou nord-coréens. Qu’allez-vous sortir de votre auguste cerveau pour remédier à l’inaction du ministre du Tourisme, après l’avoir jeté en prison?

- Mais pas du tout, pas du tout. Je ne vais rien faire. C’est une politique délibérée. Nous ne voulons pas que des étrangers viennent regarder de près notre pays.

- Pourquoi, monsieur le Pré…, monsieur le Prézizi…, monsieur le Président?

- Pour qu’ils ne soient pas éblouis par nos succès éclatants. Ils risqueraient de ne plus repartir. Nous avons assez à faire avec les subsahariens pour ne pas avoir, en plus, à expulser des millions d’Allemands, de Japonais et d’Américains clandestins.

- Monsieur le Président, pour conclure cette interview, je voudrais juste exprimer un vœu: Allah i’tina wejhek -que Dieu nous donne votre visage.

- Amen.

Par Sanaa Berrada
Le 13/07/2024 à 08h54