Contrairement à l’idée faussement répandue selon laquelle la philosophie et la démocratie seraient des sœurs jumelles, tous les grands philosophes de la Grèce antique étaient fondamentalement anti-démocratiques.
Pour Platon, c’était l’un des pires régimes politiques qui, selon lui, est un préambule à la tyrannie.
Plus tardivement, avec le courant philosophique des Lumières, deux grandes manières de penser et de développer la démocratie finiront par émerger.
La première, anglo-saxonne, s’articulera presque exclusivement autour du principe de liberté. L’égalité n’y est pensée que du point de vue du droit. Une conception qui, bien que boiteuse, finira par dominer le monde à travers une hégémonie anglo-saxonne qui se perpétue de nos jours.
L’autre, continentale, et plus particulièrement française, s’est fondée simultanément sur les principes de liberté et d’égalité à partir de la fin du XVIIIème siècle, avant de voir émerger plus tardivement un État social après la 2ème Guerre mondiale.
Mais dans un cas comme dans l’autre, l’idée d’une justice universelle est totalement absente dans les faits. Il s’agit en réalité de démocraties dont les principes et les valeurs, en théorie universels, semblent subitement s’arrêter aux frontières politiques de chacun de ces États, et plus largement aux frontières du monde occidental.
Une frontière politique et idéologique semble ainsi séparer le monde de la démocratie libérale et des droits de l’homme, autrement dit le monde de la civilisation, du monde barbare, qu’il s’agit soit de civiliser à coup de colonisation ou de bombardements, soit de génocider, comme en Amérique du Nord pour les Amérindiens et en Australie pour les tribus aborigènes.
Un universalisme formel des valeurs, qui semble avoir pour fonction de cacher ou d’euphémiser un suprémacisme racial et ontologique, celui des élites occidentales, qu’il s’agit souvent de distinguer de la base populaire, dont l’avis pèse peu dans la balance.
De manière plus contemporaine, cette duplicité narrative du discours occidental prend la forme d’un soutien inconditionnel à l’Ukraine au nom de l’humanité et des droits de l’homme, quand bien même il se trouverait des néo-nazis et des bandéristes dans les rangs des «freedom fighters». Car il s’agit là des bonnes victimes, celles qui s’intègrent pleinement dans notre vision géopolitique.
De l’autre, la Palestine, soit un peuple barbare, dont le caractère de victime ne semble pas légitime. Car comment peut-on être réellement victime de la seule démocratie au Moyen-Orient, comme on se plaît à nous le rappeler? C’est qu’au fond, ils l’ont bien cherché, n’est-ce pas? Car une démocratie ne saurait être injuste, nous dit-on.
De même, là où on ne demande pas à chaque Ukrainien s’il condamne les combattants d’Azov, de Kraken et des autres groupuscules néo-nazis, on demandera systématiquement à toute personne qui oserait rappeler que les morts à Gaza se comptent en plusieurs milliers «est-ce que vous condamnez le “Khamas”?», avec cet accent bien particulier de certains animateurs TV, ou plutôt des commissaires politiques des médias en Occident.
Ainsi, «Stand with Ukraine», d’un côté, mais «Do you condemn Hamas?», de l’autre.
Car au fond, il s’agit avant tout d’ethno-démocraties non assumées et aucunement d’une vision du monde fondée sur le principe d’une justice universelle.
Souvenez-vous de ces chroniqueurs français qui, en 2022, disaient qu’il fallait accueillir les réfugiés ukrainiens car ces derniers nous ressemblent, puisqu’ils sont blancs aux yeux bleus. Je caricature à peine.
De même, quand vous entendez «la communauté internationale», n’allez pas imaginer qu’il est question de toute l’humanité, puisqu’il s’agit en réalité du monde anglo-saxon, de l’Europe continentale et de l’Australie tout au plus. Le reste? Des Untermenschen. Des sous-hommes.
Cependant, et pour être un tant soit peu objectif, il est évident que la démocratie, aussi imparfaite soit-elle, n’est pas née dans nos contrées. Du moins, dans sa forme moderne, sachant que la démocratie tribale existe bel et bien depuis des milliers d’années. Mais ce qui est certain, c’est que chez nous, parmi toutes les affres possibles et imaginables, le pire et le plus honni demeure l’injustice. «L’hogra», comme on dit chez nous. À tel point qu’historiquement, beaucoup de grands oulémas refusaient la fonction de cadi de peur de commettre une injustice et de devoir en répondre devant Dieu.
Sommes-nous cependant capables d’inventer notre démocratie où le préalable à toute liberté et à toute égalité serait une justice effective et universelle? L’avenir nous le dira. Mais en attendant, ce qui est certain, c’est qu’il faut définitivement détricoter le fantasme d’un Occident porteur de valeurs universelles. Les Palestiniens en savent quelque chose.