Gaza, plusieurs fois meurtrie, est-elle condamnée à sa tragique actualité et à son sort de «prison à ciel ouvert»?
En ces temps tourmentés, revenir aux profondeurs de l’histoire n’est-il pas une autre manière de dire Gaza, l’âme d’un peuple, la diversité culturelle, les velléités d’effacement, la puissance de l’enracinement dans une terre multimillénaire…?
Qui peut encore réaliser que là où il y a aujourd’hui un enfermement, Gaza était jadis un carrefour ouvert, à la croisée des civilisations et des cultures!
Situés sur une antique route terrestre, longeant le rivage entre l’Afrique et l’Asie, Gaza et le territoire qui la borde étaient le débouché maritime de la longue piste des caravanes qui partaient d’Arabie du Sud pour atteindre la Méditerranée.
Là, où comme le rappelait l’ONU, «l’enclave palestinienne est en train de plonger dans une grave crise humanitaire, notamment liée à l’eau», l’histoire révèle la luxuriance et fertilité de cette oasis côtière où voyageurs et même oiseaux migrateurs trouvaient une halte bienfaisante.
La vallée de Gaza est considérée comme l’une des zones les plus anciennement peuplées au monde, comme le prouvent les découvertes archéologiques couvrant près de six millénaires dont un important échantillonnage représentatif a été exposé en 2007 au Musée d’art et d’histoire de Genève.
Ses premiers habitants sont les Cananéens, originaires de la presqu’île arabique selon la tradition classique -se fondant notamment sur les écrits d’Hérodote qui les faisait venir de la mer Rouge-, installés sur la rive orientale de la Méditerranée à l’âge du bronze.
Ils sont les fondateurs d’une civilisation urbaine (dont l’un des fleurons est Ougarit, actuelle Ras-Shamra en Syrie) et auraient donné son nom à Ghazza dans le sens de «forte».
La première référence historique à la ville elle-même remonte à la Haute Antiquité égyptienne durant le règne du roi guerrier Thoutmôsis III, pharaon de la puissante Égypte qui s’était réinstallée durablement dans la région.
Tant de fois convoitée de par sa situation avantageuse, Gaza a vu se succéder les empires et les peuples qui s’entretuent et fusionnent tout à la fois.
«Sait-on assez, nous dit Gerald Butt dans son livre «Au carrefour de l’histoire», que les Hittites d’Anatolie apportent à Gaza la technologie du fer qui permettra aux Philistins de tailler des croupières au peuple hébreu? Ces fameux Philistins qui ont donné leur nom à la Palestine?».
Un terme attesté depuis le Vème siècle av. J.-C. par Hérodote pour désigner la contrée située entre la Phénicie (soit le Liban) et l’Égypte.
L’Ancien Testament mentionne à plusieurs reprises Gaza, une des cinq cités que commandaient les chefs des Philistins.
C’est là que le mythique Samson, doté d’une force prodigieuse aurait pénétré pour y goûter les affres de l’emprisonnement avant qu’il ne se redresse en un exploit fabuleux et qu’il en arrache les portes emmenées au loin sur ses épaules.
C’est là aussi qu’il aurait péri, après la trahison de Dalila, entraînant dans sa chute «plusieurs milliers de Philistins».
Sous la coupe des Perses qui l’enlevèrent eux-mêmes aux néo-Babyloniens depuis que Cyrus le Grand avait conquis leur empire, dont faisait partie la Palestine, Gaza fournit une des importantes bases à leurs flottes, avant d’être assiégée et ruinée par Alexandre le Grand, vainqueur de Darius.
Gaza est décrite alors comme une ville fortifiée, défendue par une garnison arabo-perse sous les ordres de Batis, auquel le conquérant macédonien aurait fait subir un affreux supplice comme vengeance pour la blessure qu’il avait eue à l’épaule durant le siège, provoquée selon les versions par un coup de poignard ou par un tir de catapulte.
Commence une longue ère d’hellénisation avant le règne de Rome, dont les Byzantins sont les continuateurs.
Pendant ces temps-là, le christianisme naissant ne s’était pas installé sans résistance, prenant, entre autres formes, la sécession entre l’antique cité portuaire d’Anthédon (à Tell Blakhiyah), fidèle à ses anciens cultes, et le port chrétien de Maïouma, baptisé Constantia (sur l’emplacement du quartier actuel de Rimal).
Parmi les innombrables personnalités chrétiennes qui ont marqué les lieux: l’ascète Hilarion de Gaza, né vers 291 dans le village palestinien de Thabatha, devenu moine à Maïouma, considéré comme le fondateur du monachisme en Palestine; le rhéteur Procope; le grammairien et poète Jean de Gaza; le philosophe néoplatonicien converti au christianisme Enée, dont les correspondances conservent les noms de plusieurs lettrés de Gaza formés à son école de sophistique.
Que dire de Saint-Porphyre, évêque de Gaza au Vème siècle, auquel on attribue la christianisation de la ville païenne, inhumé au nord-est de l’église orthodoxe qui porte son nom (bombardée en octobre 2023 par l’armée israélienne)!
Gaza maintient toute son importance durant l’ère islamique, depuis qu’elle est prise en 637 par les troupes du général Amr ibn al-As sous le règne du calife Omar, en passant par l’époque florissante des Mamelouks, suivis par les Ottomans qui l’administrent comme chef-lieu d’une des provinces de la Palestine, malgré les destructions et les épisodes sanglants durant les Croisades ou les raids des Mongols.
Sans compter les exploits des Ayyoubides dont l’un des vestiges est la mosquée Oum an-Nasr à Beit Hanoun, bâtie en 1239, gravement endommagée par des tirs israéliens en 2006.
Le long des siècles, Gaza a connu une reconfiguration démographique et architecturale, sauvegardant sa diversité et sa richesse confessionnelle et culturelle, entretenant des liens multiples avec différentes régions d’Orient et d’Occident et recevant elle-même commerçants, pèlerins et voyageurs, dont l’un des dignes représentants est le Tangérois Ibn Battouta.
Symboliquement, Gaza, ville de naissance de l’imam Shafi’i, fondateur d’une des quatre écoles juridiques sunnites, occupait déjà une place particulière en tant que lieu d’inhumation, vers 497, de l’arrière-grand-père du Prophète, Hachim ibn Abd al-Manaf, enterré sous le dôme de la mosquée Sayyid Hashim, ce qui vaut à la ville l’appellation de «Ghazzat Hachim».
Si les deux mois de Napoléon Bonaparte en Palestine -avec son quartier général à Khan Younès au sud de la bande de Gaza- n’ont pas été un franc succès, il a fallu attendre 1917, pour voir le général britannique, Edmund Allenby, commandant en chef des troupes alliées en Palestine, remporter la troisième bataille de Gaza, là où le général Archibald Murray avait échoué à deux reprises, ouvrant la route vers Jérusalem.
C’était le début de bouleversements incommensurables…