Fatim-Zahra, une des victimes de la cruauté de la politique algérienne à l’égard du Maroc

Soumaya Naâmane Guessous.

Soumaya Naâmane Guessous.

ChroniqueAu début de mes enquêtes sociologiques, je pleurais face à des témoignages émouvants. Ensuite, j’ai pu maitriser mes émotions. Je n’ai pas pu retenir mes larmes en écoutant Fatim-Zahra.

Le 23/06/2023 à 13h15

6 novembre 1975. La Marche Verte. Une Marche pacifique pour que la Maroc récupère son territoire du Sud, occupé par l’Espagne. 350 000 Marocaines et Marocains y ont participé.

18 décembre 1975. En représailles, Boumédienne, président de l’Algérie, expulse 350.000 Marocains vivant en Algérie. 45.000 familles!

Les victimes marocaines ont nommé cette déportation «La Marche noire»!

Fatim-Zahra:

«Mon grand-père est arrivé à dos de chameau de Tafilelt en Algérie. Il a épousé ma grand-mère, marocaine, dont la famille est installée depuis longtemps en Algérie. Mes parents sont marocains. Mon père est décédé jeune et nous vivions avec ma grand-mère, ma mère, ma sœur aînée et mon jeune frère avec la pension de mon père.

Une famille unie, heureuse, avec un voisinage algérien très amical.

J’avais 18 ans. Nous avions sacrifié le mouton de Aïd Al-Adha dans la joie.

Le lendemain de l’Aïd, avant le déjeuner, ma mère m’a demandé de l’aider à découper la viande du mouton, qui était encore accroché à la poutre. À 14h, la sonnette retentit.

Un policier demande à ma mère si nous sommes bien marocains et qu’il fallait se présenter au commissariat avec nos passeports pour un contrôle.

Au commissariat, nous étions pétrifiées: des cris, des pleurs, des hurlements d’enfants et d’adultes.

On nous a appris que nous allions être expulsés de ce pays que nous considérions comme le nôtre!

Ma mère et ma grand-mère suppliaient en sanglotant. Mon frère, 15 ans, était sorti jouer au football. Heureusement, des voisins sont allés le chercher. Il nous a rejointes au commissariat.

On nous a parqués, ignorant nos supplications. Des femmes pleuraient leurs enfants qui ne les ont pas accompagnés au commissariat. Les victimes ont été séparées de leurs grands-parents, parents, époux, épouses, frères, sœurs… Seuls ceux qui se sont présentés au commissariat ont été retenus. Ils ne les ont revus que des années plus tard.

C’était l’hiver. Il faisait froid. Les gens sont arrivés au commissariat sans manteau, avec des pantoufles et juste des passeports.

Tout ce que nous possédions était resté dans nos maisons. Nous avons tout perdu; plus aucune trace de la vie de plusieurs générations.

Plus aucun document officiel, diplômes, acte de naissance ou de mariage, habits, meubles, de photos… Du jour au lendemain, nous sommes devenus pauvres, privés de nos biens, de nos familles, sans un sou en poche.

La faim, la soif, la frayeur. Et des larmes intarissables.

Le soir, on nous a distribué un demi-litre de lait, un pain et une portion de fromage, avant de nous pousser, comme du bétail, dans des autocars.

J’ai encore dans les oreilles les hurlements des hommes, des femmes, des enfants. Des mères criaient les noms de leurs enfants laissés sur place. Les hommes résistaient. La police tabassait. J’en fais encore des cauchemars.

Tard dans la nuit, on nous a fait descendre des autocars avec violence. Nous courrions de peur de nous faire tirer dans les dos. Aucun mot ne saurait décrire notre souffrance. Il faisait nuit. Nous trébuchions. Accrochés les uns aux autres, nous tremblions de peur.

À un moment, nous aperçûmes des lumières éblouissantes venant de projecteurs énormes.

Le Maroc.

Mon Dieu, quel accueil! Indescriptible! Le régime algérien a fait de nous des parias. Le Maroc nous a accueillis comme des héros.

Tout et tous étaient prêts pour nous recevoir avec une chaleur indescriptible: repas, soins médicaux, soutien psychologique… Nous avons dormi confortablement dans des tentes.

Le lendemain, on nous a inscrits et donné le choix de la ville où nous souhaitions loger.

Nous avons été logés à Casablanca dans le bâtiment de la Foire. Chaque famille a eu son carré et le nécessaire pour y vivre. Nous avions, gratuitement, un restaurant de qualité sur place, des ambulances, des médecins…

Nous avons passé plus de 6 mois dans cet espace devenu convivial, partagé par des rideaux pour conserver notre intimité. Nos traumatismes étaient atténués par l’excellent accueil par l’État et la solidarité et la générosité des Casablancais qui nous offraient des vêtements et des chaussures.

Les week-ends, des familles prenaient chez elles des expulsés. On a passé la nuit dans des villas, chez des gens qui nous gâtaient: promenade, restaurant, cadeaux…

Ma sœur et moi avons pu travailler, car l’ordre avait été donné de privilégier les expulsés dans les recrutements. Des autocars nous accompagnaient au travail, même si on nous avait donné des cartes d’autobus gratuites.

Sept mois plus tard, un cousin de ma grand-mère nous a retrouvés et emmenés vivre chez lui. Il avait 8 enfants et une épouse. Il a entretenu 5 autres personnes avec une générosité infinie.

Ma sœur aînée et moi n’avons pas pu reprendre nos études. Nous avons travaillé pour faire vivre notre grand-mère et notre mère et scolariser notre frère.

Nous avons eu la chance de ne pas avoir été séparés. D’autres familles n’ont pas pu voir les leurs pendant des années.

J’aurais souhaité une vie éternelle à Hassan II qui nous a rendu notre dignité. Que Dieu bénisse son âme. Des concitoyens, furieux, voulaient en faire de même avec les Algériens vivant au Maroc. L’ordre a été donné de ne pas toucher à un de leurs cheveux».

Mon objectif par ce témoignage n’est pas d’attiser la haine entre Marocains et Algériens, mais par devoir de mémoire: garder vivace le souvenir d’un drame dont ont été victimes des Marocains et également des Algériens dont des milliers ont été séparés des membres de leurs familles.

48 ans après, des familles demeurent encore séparées. Des milliers de Marocains attendent toujours d’être indemnisés par le régime algérien, pour leurs biens perdus.

Un collectif international, le CiMEA75, appelle vainement le régime algérien à assumer ses responsabilités.

Fatim-Zahra: «Ma déception? 350.000 Marocains déportés par le régime algérien sans que cela fasse réagir les organismes internationaux de défense des droits de l’Homme. Mais je reste fière de mon pays, de mon peuple et du trône alaouite».

Par Soumaya Naamane Guessous
Le 23/06/2023 à 13h15