Devoir de mémoire. Mohamed Zerktouni, mort pour la patrie

Mohamed Zerktouni inspire, 63 ans après son martyre, toutes les belles valeurs de courage et de patriotisme. . dr

Ce 18 juin coïncide avec le 63ème anniversaire du martyre du résistant Mohamed Zerktouni et la célébration de la Journée nationale de la résistance. Retour sur un symbole qui, plus de six décennies après sa disparition, continue d’inspirer courage et sacrifice pour la patrie.

Le 19/06/2016 à 13h50

Le 18 juin 1954, à la levée du jour (6 heures du matin), quartier de la municipalité (derb el baladia), à Derb Soltane. Mohammed Zerktouni tout juste rentré de Fès ne savait peut-être pas qu’il avait rendez-vous avec le Destin. La porte de son domicile où il se trouvait avec son épouse Saâdia et ses deux enfants Abdelkrim et Chawki retentit violemment. «Ouvrez, c’est la police !», fuse une voix comme une balle. Zerktouni a vite compris qu’il était tombé en embuscade et dit à son épouse Saâdia : «Je vais me rendre, n’aie pas peur, prends soin de mes deux enfants Abdelkrim et Chawki».

Ce fut la dernière phrase du martyre avant d’avaler une gélule de cyanure et embarquer à bord d’une estafette de la police secrète française vers le tristement célèbre commissariat principal de Roudani. Ses bourreaux qui croyaient avoir mis la main sur un inestimable "butin" n’en revenaient pas tellement ils jubilaient à l’idée d’arracher des aveux de la bouche de celui qui fut l’un des chefs de l’Organisation secrète de la résistance (OSR). Il n’en fut rien. Zerktouni rendit l’âme avant même son arrivée audit commissariat et son évacuation en urgence vers l’un des hôpitaux les plus proches dans le quartier Maârif leur était inutile pour tenter d’arracher au défunt ne serait-ce qu'une bribe d'information en vue de démanteler les structures de la résistance nationale.

Pendant ce temps-là, relate le chercheur Hassan Nejmi à Le360, une autre unité de la police secrète française fait irruption au domicile du martyr où était retranchée sa jeune épouse Saâdia et les deux enfants que feu Zerktouni avait eus avec une autre femme: Abdelkrim et Chawki (encore un bébé). Problème: ce matin-là, le martyr avait rendez-vous à son domicile avec d’autres figures de la résistance. Saâdia était au courant de ce rendez-vous et se tenait à la fenêtre de son domicile guettant la trace du premier venu afin de l’avertir de ses mains de la présence de la police tout en essayant de tromper la vigilance de ces derniers en pinçant le bébé Chawki pour le faire pleurer… tant et si bien que les policiers en sont arrivés à faire des crises de nerfs en lui intimant de faire taire le bébé.

C’est ainsi que le premier résistant arrivé a pu réaliser, via un geste de la main de Saâdia, que malheur était arrivé à leur chef Zerktouni et qu’il fallait avertir les autres de ne pas s’approcher du domicile de crainte d’être arrêtés à leur tour. Une réunion est improvisée clandestinement chez un épicier du quartier et tout le monde se rend compte que Zerktouni était bel et bien capturé. Saâdia, qui était encore jeune, a été mariée plus tard à un nationaliste, devenu juge, avec qui elle vit toujours à Marrakech. «Un acte par lequel les résistants voulaient préserver l’honneur du martyr Zerktouni», explique Hassan Nejmi, ancien président de l’Union des écrivains du Maroc (UEM).

Pour le poète-chercheur, le martyr Zerktouni représente un symbole de résistance non seulement pour le Maroc où il a vu le jour en 1927 (dans le quartier Es-souinia à l’Ancienne Médina de Casablanca). Son nom évoque, au-delà des frontières de sa patrie, le combat de tous les peuples qui se sont battus pour se libérer du joug des colons et recouvrer leur liberté et leur dignité.

Issu du parti de l’Istiqlal, membre actif du mouvement du scoutisme national, le martyr dirigeait avec son sens quasi-inné de l’organisation le premier «comité de décoration» pour célébrer la fête du Trône. Un sens précoce de l’organisation qu’il a mis au service d’une action digne des figures les plus marquantes de la résistance à travers le monde.

Zerktouni, qui possédait une papéterie à l’Ancienne Médina de Casablanca, savait trouver le temps pour organiser les rangs de la résistance armée contre le protectorat français, acquérant très tôt la conviction de la nécessité de «reprendre par la force ce qui a été arraché par la force». Il a été le premier jeune marocain à s'être procuré un revolver, qu’il a utilisé pour liquider le premier mokaddem-mouchard qui roulait pour l’occupant français. 

Le 18 juin, qui coïncide avec le martyre de Mohammed Zerktouni, constitue ainsi une occasion renouvelée de se rappeler les sacrifices consentis par ce héros national, et à travers lui, tous ceux qui ont écrit l'une des plus belles pages de la résistance nationale. Thami Naamane (père de la sociologue Soumaya Naâman Guessous), Hassan et Souleimane Laaraïchi, Mohamed Mansour, Senhaji, entre autres héros nationaux.

Parmi les faits d’armes les plus retentissants à mettre au compte de feu Zerktouni, l’opération qu’il a dirigée en 1953 au Marché central de Casablanca à dix heures du matin visant des intérêts français, et qui s’est soldée par la mort de dix-neuf colons.

Autres coups d'éclat, et pas des moindres: l’opération contre le train Casa-Alger exécutée par Mohamed Mansour (ex-membre du Bureau politique de l’USFP), ainsi que l’opération de la Gironde qui a été couronnée par l’assassinat du docteur Herault (responsable de la presse coloniale)… Autant de coups de maître qui ont fait très mal au colon français et ressuscité l’espoir chez le commun des résistants plus que jamais certains de faire aboutir la légitimité de leur combat pour la liberté.

Le 18 juin 1956, année de l’indépendance, le défunt roi Mohammed V de retour au royaume se recueillit sur la tombe de Mohamed Zerktouni glorifiant ainsi la mémoire d’un héros qui a administré une belle leçon de courage et de patriotisme. Un héros mort pour son pays et c'est tout à son honneur.

Par Ziad Alami
Le 19/06/2016 à 13h50