Camps de Tindouf: la grogne monte de plusieurs crans contre Brahim Ghali

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Les familles, parents et soutiens de trois dissidents du Polisario emprisonnés à Rabouni ont manifesté le 1er septembre devant les «bureaux» de Brahim Ghali. Une lettre, rappelant à ce dernier ses quatre vérités, a été également laissée sur place. A Tindouf, la peur a bien changé de camp.

Le 04/09/2019 à 09h51

Cela fait maintenant plus de deux mois et demi que trois ex-militants du Polisario, Moulay Abba Bouzid, Fadel El Mehdi Breica, et Mahmoud Zeidane, sont embastillés dans la prison-mouroir de Dheïbiya, un bagne réservé aux opposants du Polisario, et d’où l’on ne sort qu’après avoir perdu la raison ou la vie, tellement les conditions de détention y sont inhumaines, selon plusieurs sites d’informations, y compris ceux proches de la direction du Polisario. Un Goulag en plein désert, en somme. 

Le crime de ces trois dissidents? Aucun. A part qu’ils exigent du Polisario de sortir de sa tour d’ivoire en vue de contribuer positivement à mettre fin au conflit créé de toutes pièces autour du Sahara, conflit qui n’a que trop duré.

Bouzid et Breica, farouches opposants à Brahim Ghali et sa nomenklatura du Polisario, s’activent au sein du mouvement de l'Initiative sahraouie pour le changement, alors que le journaliste Zeidane milite dans les rangs du Forum des jeunes sahraouis pour une solution (au conflit du Sahara, Ndlr).

Bien qu’accusés par le Polisario d'incitation des Sahraouis de Tindouf à la rébellion, et d’«insultes, diffamation et calomnies» contre les dirigeants séparatistes, qu’ils ont taxés de «Issaba», comme cela se dit actuellement dans la rue algérienne, ces opposants, dont la libération est exigée à cor et à cri par leurs nombreux soutiens et familles, n’ont jamais été présentés à la justice, si tant est qu’elle existe à Tindouf.

Même l’ONG Human Rights Watch a défié, à la mi-juillet dernier, le Polisario, lui enjoignant de prouver de «manière crédible» que les trois dissidents (comme elle les qualifie) «Bouzid, Breica et Zeidane pourraient avoir commis des actes véritablement criminels, et pas seulement avoir critiqué pacifiquement le Polisario», écrit-elle dans un communiqué.

Mais ce dimanche 1er septembre, la tension est montée de plusieurs crans quand les membres des familles des détenus se sont rendus devant le siège des «bureaux» de Brahim Ghali à Rabouni pour réclamer à nouveau la libération des leurs. «Liberté pour les détenus d’opinion», «Non au musèlement de la parole et des plumes libres», «Procès juste et liberté immédiate pour les détenus d’opinion»... Tels sont, entre autres, les slogans transcrits sur les nombreuses banderoles que brandissaient les protestataires. Mais, sachant que Brahim Ghali n’est jamais dans son prétendu «bureau» de fonction auquel il préfère ses villas cossues à Tindouf, Alger ou ailleurs, une lettre à son attention a été quand même remise aux gardiens des lieux. Une copie de celle-ci a été également transmise aux médias pour s’assurer que son contenu arrivera à son destinataire.

Cette lettre commence d’abord sur le ton de l’injonction à l’adresse du chef du Polisario: «Nous, qui nous présentons aujourd'hui en ce lieu, exigeons de toi une réponse claire sur le sort de nos fils et frères, kidnappés et emprisonnés depuis maintenant soixante-quatorze jours, sans que l’on sache pour quelle raison».

Dénonçant le «silence terrible et l’indifférence» de celui qui «se prend pour le dirigeant d’un peuple, alors qu’il laisse des familles entières en proie au total désespoir», les signataires de la lettre rappellent à Brahim Ghali qu’il ne doit pas attendre d’eux de renier le combat engagé par leurs fils et frères emprisonnés. Au contraire, écrivent-ils, «nous marcherons sur le chemin de nos enfants et nous n’en dévierons pas d’un iota… Malgré les loups et les renards affamés que tu lâches continuellement, en vue de semer la zizanie parmi nous.»

Il faut dire qu’avec cet acte de protestation devant les «bureaux» de Brahim Ghali et ce ton épistolaire acerbe, la peur semble désormais avoir changé de camp à Tindouf. Car il n’est pas loin le temps où quand un prisonnier est envoyé dans une prison algérienne ou au bagne de Dhaïbiya à Rabouni, plus personne n’ose parler de lui, pas même ses proches parents, de peur de rejoindre cette «dernière demeure». C’est d’ailleurs tout récemment que l’omerta qui entourait le cas d’un autre dissident, Ahmed Khalil, a été ouvertement brisée. Cet ancien conseiller de l’ex-chef du Polisario, Abdelaziz El Marrakchi, est porté disparu dans les geôles algériennes depuis maintenant plus d’une décennie, alors que des manifestations régulières à Tindouf exigent de Brahim Ghali de lever le voile sur son sort.

Par Mohammed Ould Boah
Le 04/09/2019 à 09h51