Le coup de com’ est cette fois réussi, l’opération de charme aboutie, le revirement, les arguments comme la technique à même de plaire. Mais c’est beaucoup plus facile à dire qu’à faire. Il en va ainsi de la récente sortie médiatique de Sabri Boukadoum, ambassadeur d’Algérie aux États-Unis, dans les colonnes du média américain DefenseScoop. Revigoré par le mémorandum d’entente militaire signé le 22 janvier dernier entre les États-Unis et l’Algérie (représentés respectivement par le commandant de l’Africa Command, le général Michael Langley, et Saïd Chanegriha, le chef de l’ANP), le diplomate algérien s’est livré, le 7 mars dernier, à un véritable numéro de charme pour démontrer la prédisposition de l’Algérie à opérer le shift du siècle: le passage, radical et sans transition, d’une dépendance militaire quasi exclusive vis-à-vis de la Russie à un armement américain tous azimuts.
Fin diplomate, autrefois ministre des Affaires étrangères (2019-2021) et ancien Premier ministre par intérim, Sabri Boukadoum sait y mettre les formes. Il fait sienne la célèbre expression américaine «The sky is the limit». «Nous avons un dialogue militaire en cours depuis des années. Ainsi, le [mémorandum d’accord entre l’Algérie et les États-Unis] établit simplement un cadre juridique pour notre coopération et ouvre la porte à de nombreuses autres possibilités à l’avenir», a déclaré Boukadoum à DefenseScoop.
Parmi celles-ci, il a cité les échanges de renseignements maritimes, les opérations de recherche et de sauvetage ainsi que les efforts de lutte contre le terrorisme dans et autour du Sahel et, surtout… des achats d’armes américaines par l’Algérie. Une première historique. «Le ciel est la limite», a déclaré l’ambassadeur lorsque le média américain lui a demandé quelles étaient les priorités de l’Algérie dans cette coopération militaire. Pour tout cela, les deux pays ont formé trois groupes de travail pour établir le plan de mise en œuvre du MOU et définir les prochaines étapes.
L’art du deal
Les objectifs de la manœuvre sont multiples. Il s’agit avant tout de séduire une nouvelle administration américaine qui ne porte nullement le régime d’Alger dans son cœur. Un régime dont les acquisitions militaires russes n’ont cessé d’inquiéter Washington. Pour rappel, la bête noire du régime d’Alger aux États-Unis, c’est un certain Marco Rubio, secrétaire d’État américain. Pas plus tard qu’en 2022, c’est lui qui a appelé le département d’État américain à prendre des sanctions contre la junte au pouvoir, qui se goinfrait d’armes russes au moment où la Russie envahissait l’Ukraine. Dans une lettre adressée le 14 septembre 2022 au secrétaire d’État Antony Blinken, il avait pointé du doigt le voisin de l’Est comme étant «un des principaux acheteurs mondiaux d’équipements militaires de la Fédération de Russie».
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Le républicain s’était alors appuyé sur le Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act (P.L.115-44), une loi qui autorise la prise de sanctions à l’encontre de toute partie qui «s’engage sciemment dans une transaction importante avec une personne qui fait partie des secteurs de la défense ou du renseignement du gouvernement de la Fédération de Russie, ou qui opère pour ou au nom de ces secteurs».
Dans la foulée de sa missive, 27 députés, aussi bien républicains que démocrates, ont adressé, le 29 septembre de la même année, une autre lettre à l’ancien secrétaire d’État Antony Blinken dans laquelle ils interpellaient l’administration de leur pays et appelaient à l’instauration de sanctions contre le régime algérien. En cause, là encore: le fait que Moscou soit aujourd’hui le plus grand fournisseur d’armes d’Alger. La même année 2022, l’Algérie avait acheté pour 7 milliards de dollars d’armements russes.
L’astuce est toute trouvée: acheter américain, c’est pour le régime un moyen de juguler le risque de sanctions. «S’armer américain peut servir de moyen pour calmer bien des esprits aux États-Unis tout en les mettant un peu en égalité avec la Russie», explique Abdelhak Bassou, spécialiste en affaires sécuritaires et de défense.
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Autre visée algérienne: s’attirer les faveurs de Washington en se présentant comme un vassal fiable à même de «servir», notamment dans la région. Sabri Boukadoum a d’ailleurs tenté de «vendre» l’idée. «L’avantage des Algériens (pour les États-Unis, NDLR), c’est que nous avons le facteur humain, en étant présents sur le terrain en Afrique du Nord […] L’écoute clandestine, les satellites et toutes ces choses sont essentielles aux opérations de sécurité américaines à l’étranger. Mais il faut connaître les gens— les tribus et toutes les interactions entre elles— il faut avoir l’information humaine».
On l’aura compris, le but est de se replacer sur un échiquier sahélien où Alger ne compte désormais que des ennemis, en jouant la carte d’une alliance avec les tout-puissants États-Unis. Ceci, d’autant plus qu’il y a deux ans, un changement dans la Constitution a autorisé l’armée algérienne à agir en dehors de ses frontières. «Il y a cette intention, cette volonté du pouvoir algérien de revenir sur le plan régional, notamment au Mali, et international et d’y jouer un rôle. Le régime voisin pense que le parapluie américain l’y aidera», ajoute Bassou.
Opération hara kiri
Last but not least, en achetant américain, Alger veut s’assurer un armement un tant soit peu opérationnel, efficace et moderne. L’armement russe a en effet montré bien des limites lors de la guerre en Ukraine. La deuxième armée la plus puissante au monde a eu bien du mal à s’imposer devant les drones et les renseignements mis à la disposition des troupes ukrainiennes. «Jusqu’ici, l’Algérie, c’est l’école soviétique, celle du nombre. Sauf que certaines stratégies, notamment ukrainiennes, nous montrent que la tactique militaire n’est pas arithmétique. Alors que les Russes tablaient sur une blitzkrieg, une guerre éclair qui allait de suite régler le conflit, nous y sommes encore», souligne Mohammed Loulichki, ancien ambassadeur et spécialiste en diplomatie et résolution des conflits.
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Mais un pays, quel qu’il soit, peut-il du jour au lendemain changer de fusil d’épaule en matière d’approvisionnement en armes? Rien n’est moins sûr. Alors que la coopération militaire entre les États-Unis et l’Algérie en est à ses balbutiements, le chemin vers une appropriation par l’Algérie de l’armement américain sera long et fastidieux. C’est toute la doctrine militaire algérienne, valable depuis l’indépendance du pays, qu’il faudra revoir. «Nous savons tous que lorsqu’un pays est traditionnellement le client d’une source d’approvisionnement en armement, il devient en quelque sorte conditionné. Parce que l’armement vient avec la formation, l’interopérabilité, les règles d’engagement. Tout cela est impossible à changer du jour au lendemain», explique Loulichki.
«Il aura fallu cinq ans d’entraînements intensifs à des pilotes marocains pour maîtriser le maniement des Apache fraîchement acquis par les FAR, pourtant habituées au made in USA. C’est dire qu’un armement, c’est aussi une technologie et un savoir-faire qui s’acquièrent sur le long cours. C’est aussi une capacité à l’entretenir. Ce qui est une science en soi. Rappelons qu’avec les F-16, le Maroc s’est doté de toute une plateforme de maintenance précédée de plusieurs années de mise en place et de formation», abonde cet expert militaire.
Pendant ce temps, il n’est pas sûr que le «grand frère» russe, ainsi trahi, reste les bras croisés. Les mauvaises langues voudraient que la frappe du mardi 11 mars de missile balistique russe sur le port d’Odessa, dans le sud de l’Ukraine, qui a fait quatre morts et coulé une cargaison de blé destinée à l’Algérie, soit un tir de sommation. Une chose est certaine: bien avant de gagner les faveurs des États-Unis, dont le premier allié militaire en dehors de l’OTAN est, et restera, le Maroc, l’Algérie aura eu le génie de perdre le peu qui reste de la bienveillance russe. Et il en reste très peu.
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