Il est officiel et il vient d’être adopté ce lundi 20 août par le Conseil de gouvernement en attendant le Conseil des ministres qui se tient aujourd'hui même sous la présidence du roi Mohammed VI. Ce sera le début de son introduction pour adoption dans les deux chambres du Parlement. Et ce sera une révolution qui, le hasard n'existant pas, tombe le jour de la célébration par le Maroc de la Révolution du roi du peuple, marquant la réaction unanime des Marocains contre la décision de l'occupant français d'exiler feu Mohammed V et la famille royale.
Au delà de la symbolique, le service militaire, autrefois optionnel mais désormais obligatoire, participe de plusieurs valeurs, principes et règles qui dépassent le simple cadre de l'exercice militaire pour s'étendre à la construction du citoyen et de la société de demain. Ce dispositif concerne aussi bien les Marocains que les Marocaines, âgés de 19 à 25 ans, établissant ainsi une parité totale autant dans son esprit que dans le cadre de son application. Voici, point par point, les arguments plaidant pour l'instauration de ce régime.
- Un principe constitutionnelDe par le timing, et ne figurant ni dans le programme gouvernemental voté au moment de la montée au pouvoir de l'équipe El Othmani, ni dans le plan 2018-2019 de l'Exécutif, et encore moins dans la lettre de cadrage de la loi des Finances 2018, la mesure a de quoi surprendre. D'autant plus que le précédant régime de service militaire, instauré en 1966, a été aboli sine die. "N'empêche qu'une telle option figure noir sur blanc dans la Constitution de 2011, tout comme elle a toujours été précisée dans toutes les constitution du Maroc depuis 1962", nous précise le politologue Mustapha Sehimi. Dans son article 38, la loi suprême indique en effet que "Tous les citoyens et les citoyennes contribuent à la défense de la patrie et de son intégrité territoriale contre toute agression ou menace". Les préparer à cette fin n'est donc que pure logique.
- Une question de cohésion nationaleLa question du Sahara, les menaces étrangères, émanant notamment de pays voisins lourdement armés, le spectre du terrorisme islamiste… les risques en tous genres auxquels le Maroc fait face sont aussi nombreux que réels. Un dispositif tel que le service militaire n'est donc pas un luxe si l'on veut fédérer les jeunes énergies, au-delà de leurs origines, appartenances géographiques ou sociales et niveaux d'instruction pour faire corps avec la Nation et défendre les idéaux de sécurité, de paix et de tolérance que prône le Maroc. Ailleurs, cette formule a de tout temps fait ses preuves. Dans un pays comme la France, le sociologue des organisations, Sébastien Jakubowski, explique dans un article publié dans Cnews que «la conscription était historiquement un moyen pour l’Etat de transmettre les valeurs de la Nation, et pour le citoyen d’être versé dans un pot commun, et donc de s’incorporer à ses semblables». La même théorie est parfaitement applicable au contexte marocain.
- Eduquer-former...D'après les premiers éléments, le nouveau service militaire au Maroc ne devrait aucunement se limiter aux seules techniques de l'armée, mais s'élargir à bien d'autres domaines… civils. Nous sommes ainsi dans une logique d'éducation aux valeurs citoyennes, mais aussi de formation professionnelle et technique, doublées de ces soft skills ô combien nécessaires à une insertion réussie dans la vie active. "Il me semble que nous nous acheminons ainsi vers un mix entre le service militaire et le service civil, l'objectif n'étant autre que social. Ceci, dans la mesure où la finalité est d'offrir aux jeunes des formations supplémentaires dans un cadre où la rigueur est loi. Il s'agit ainsi d'un creuset visant également à inculquer les sens de la discipline, de l'abnégation et de l'organisation. Pour cela, l'armée est un cadre structurant, voire institutionnel", souligne Sehimi.
- Rattraper le temps perduDans sa formule mixte, le dispositif figurait également dans un autre texte de référence: le rapport sur le cinquantenaire demandé par le roi et qui a fait le bilan des cinquante premières années du Maroc indépendant. Un de ses auteurs et grand défenseur d'un tel dispositif, Hassan Benaddi, dit se "réjouir" de cette nouvelle. "Je n'ai pas encore les détails du rétablissement du service militaire et, sur le principe, il fait partie des principales recommandations du rapport (du cinquantenaire) et n'ai cessé de le défendre. A situation exceptionnelle, il faut des solutions exceptionnelles. Les Etats-Unis ont réussi leur sortie de la crise de 1929 avec le New Deal, l'Europe avec le Plan Marshal au lendemain de la Deuxième guerre", explique-t-il. Pour le Maroc, "et notamment après les événements d'Al Hoceima, le mouvement d'une jeunesse majoritairement mal formée mais bien informée et, surtout, la faille des partis et des syndicats dans son encadrement, ce service peut être le début d'une solution. Ceci, dans la mesure où il permettra de rattraper une jeunesse dont on ne s'est pas occupée. Avec toute la bonne volonté du monde, le système actuel de formation ne peut absorber aujourd’hui que 100.000 jeunes. Or, il en sort 300.000 chaque année. Nous nous retrouvons ainsi, et tous les 5 ans, avec 1 million de Marocains totalement livrés à eux-mêmes. Or, en les canalisant, on peut en faire une véritable force à même de réussir le tournant politique, économique et social que nous négocions", poursuit le syndicaliste et ancien responsable politique.
- Du civisme et des valeurs citoyennesAutres valeurs, et non des moindres, à faire valoir: le sens du civisme, du respect de l'autre et de la citoyenneté. Un service militaire ne peut en cela que servir d'exemple. Sociologue, Mohcine Benzakour abonde dans ce sens. Lui qui ne cesse de tirer la sonnette d'alarme quant à la perte en grande vitesse des valeurs citoyennes et d'appartenance et la tendance grandissante à la délinquance et à la violence chez les jeunes. Le phénomène tcharmil n'est qu'un exemple parmi d'autres. Il pointe en cela le rôle de la famille qui va en s'amenuisant. "La famille est aujourd'hui réduite à assurer le confort plus au moins nécessaire à l'enfant et au jeune. Elle est là pour donner et non plus pour fixer un cadre et instaurer les bases d'une éducation saine et constructive. Or, on sait qu'un jeune habitué à seulement recevoir ne peut donner. On sait également que la citoyenneté suppose des droits, mais aussi des devoirs. La situation est pour le moins paradoxale", constate-il. Pour lui, un service militaire ou hybride (avec une composante civile) peut pallier ce dysfonctionnement, en recardant les jeunes qui en ont besoin. "Des valeurs telles que la rigueur, le sérieux, le travail en équipe sont et plus que jamais nécessaires dans une société où la facilité et la triche sont aujourd'hui la grande mode", affirme-il. Mais est-ce assez? "Il est clair que cela ne peut être que le début. Un nouveau citoyen suppose tout un nouveau système, avec de bons exemples à suivre", conclut-il. Une chose est sûre selon lui: un service militaire à l'ancienne, la violence et les tramatismes qui vont avec, sera totalement inutile, voire contre-productif.
Si le rétablissement du service militaire obligatoire pour les hommes et les femmes, âgés de 19 à 25 ans, est une mesure qui est largement saluée, il n’en demeure pas moins qu’elle fera face aux défis mêmes inhérents à son ambition. Le coût d’un tel dispositif sera très probablement assumé par les FAR et nécessitera des ponctions dans le budget de l’Etat. Sans parler des défis logistiques et le nombre d’instructeurs censés encadrer les jeunes. Notre vaillante armée a été confrontée à d’autres défis et elle a toujours réussi à les relever.