Il est de ces goujateries, qui plus est, lorsqu’elles émanent de «diplomates» algériens, qui laissent perplexes. La sortie pour le moins hasardeuse d'Amar Belani, répondant au titre comique d’«Envoyé spécial chargé de la question du Sahara occidental et des pays du Maghreb» au ministère algérien des Affaires étrangères, en a apporté, lundi 16 mai 2022, une nouvelle démonstration. Cette fois, Belani réagissait à la magistrale leçon d’histoire assenée par Omar Hilale, le représentant permanent du Maroc auprès des Nations Unies, à Nadir El Arabaoui, chef de la délégation algérienne au séminaire du C24. Un rendez-vous qui s’est tenu du 11 au 13 mai courant à Sainte-Lucie. Investi de la tâche de secourir un Arabaoui visiblement largué, c’est avec la même propension aux injures et aux contrevérités que Belani s’en est pris non seulement au diplomate marocain, mais à tout le Royaume.
Le seul tort de Omar Hilale était de répondre aux habituelles allégations fallacieuses de l’ambassadeur d'Algérie sur l’autodétermination du «peuple sahraoui» et la situation des droits de l’Homme au Sahara marocain. Nadir El Arabaoui s’en était par ailleurs pris à Bahiya Ghalla, vice-présidente de la région Dakhla-Oued Eddahab. Et mal lui en aura décidément pris. «Monsieur l'ambassadeur, vous avez raté une occasion de vous taire et vous avez raté votre première participation au C24», a d’emblée déclaré Hilale, démontant, l'une après l'autre, toutes les insanités de l'ambassadeur algérien.
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Dans des propos rapportés par l’agence officielle algérienne APS, Belani va jusqu’à outrepasser ses prérogatives d’éructeur attitré du régime pour s’ériger en historien de pacotille. Pour lui, le Maroc comme Etat moderne, pour ne prendre que ce passage-là, «a été fondé par le résident général du protectorat français, le maréchal Lyautey (dont la statue équestre est toujours à Casablanca)». Voilà qui mérite que l’on s’y attarde, connaissant le véritable complexe algérien vis-à-vis de la France, son géniteur, et sa jalousie envers son voisin qui dispose de ce qu’elle ne pourra jamais acheter: une Histoire.
Amar Belani est un fieffé menteur. Il gagnerait, d’ailleurs, à se dégotter une invitation au consulat de France à Casablanca pour voir de ses propres yeux que la statue en question est dans l’enceinte dudit consulat, un territoire français, et non «à Casablanca». Au demeurant, de Lyautey, monarchiste convaincu et grand amoureux du Royaume et de sa civilisation millénaire à laquelle il vouait un véritable culte, les Marocains ne gardent d’ailleurs que de bons souvenirs.
Un état de choses inorganiqueSi Hubert Lyautey vouait une admiration sans faille à la Nation marocaine et à sa civilisation millénaire, il n’en est pas de même pour l’Algérie. Et puisque le pitre Belani aime citer Lyautey, nous allons lui rappeler ce que ce dernier a dit à propos de l’Algérie: «Alors que nous nous sommes trouvés en Algérie en face d’une véritable poussière, d’un état de choses inorganique, où le seul pouvoir était celui du Dey turc effondré dès notre venue, au Maroc, au contraire, nous nous sommes trouvés en face d’un empire historique et indépendant, jaloux à l’extrême de son indépendance, rebelle à toute servitude.» Ceci est extrait du discours de Lyautey de février 1916 devant la Chambre de commerce de Lyon.
Le caractère «inorganique», «véritable poussière» de l’Algérie, nombre de chefs d’Etat français l'ont justement souligné, et ce, alors qu’ils étaient en exercice. En commençant par le général de Gaulle et en finissant par l’actuel président Emmanuel Macron. N’est-ce pas celui qui a cédé au FLN (Front de libération nationale) algérien le destin des Algériens, qui s’en exclamait dans son allocution du 16 septembre 1959 en faveur de l’autodétermination (tiens!) des Algériens? «Je poserai la question aux Algériens, en tant qu'ils sont des individus. Car, depuis que le monde est le monde, il n'y a jamais eu d'unité, ni à plus forte raison de souveraineté algérienne: Carthaginois, Romains, Vandales, Byzantins, Arabes de Syrie, Arabes de Cordoue, Turcs, Français ont tour à tour pénétré le pays sans qu'à aucun moment et d'aucune façon il y ait eu un Etat algérien», s’exprimait Charles de Gaulle.
Une nation algérienne avant la colonisation française?Le fils du général, l’amiral Philippe de Gaulle, ne disait pas autre chose à l’occasion de la sortie de ses mémoires, le 12 janvier 2022. Dans un entretien accordé au quotidien français Le Figaro, il a livré un précieux point de vue sur l’Algérie. «Nous, les Gaulois, n’étions rien avant d’être conquis par Rome. Ils nous ont tout appris. L’état civil, le statut de la femme, l’héritage, les aqueducs, les fortifications, l’art de la guerre. Les Algériens, c’est la même chose: nous leur avons beaucoup appris, plutôt que de parler de crime contre l’humanité», estimait ainsi Philippe de Gaulle.
Du lointain au présent, Emmanuel Macron, entouré le 30 septembre 2021 de dix-huit jeunes issus de familles qui ont vécu la guerre d’Algérie, lors d’un déjeuner à l’Elysée, a rappelé cette même vérité, s’interrogeant, à juste titre, sur ce qu’est l’Algérie: «La construction de l’Algérie comme nation est un phénomène à regarder. Est-ce qu’il y avait une nation algérienne avant la colonisation française? Ça, c’est la question. Il y avait de précédentes colonisations. Moi, je suis fasciné de voir la capacité qu’a la Turquie à faire totalement oublier le rôle qu’elle a joué en Algérie et la domination qu’elle a exercée. Et d’expliquer qu’on est les seuls colonisateurs, c’est génial. Les Algériens y croient.»
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«Est-ce qu’il y avait une nation algérienne avant la colonisation française? Ça, c’est la question». Quelle terrible question pour les oreilles d’un régime spécialiste des récits apocryphes et qui veut façonner à tout prix une narration mensongère pour se doter d’une profondeur historique imaginaire.
Après la question d’Emmanuel Macron, la junte a mobilisé ses médias, ses partis politiques, ses ministres pour dénoncer les propos «irresponsables» du président français et exiger des excuses. Mais de quoi le président français allait-il devoir s’excuser ou faire acte de repentance? De faits historiques, bien établis et irréfutables?
Comme pour l’ubuesque match à rejouer entre l’Algérie et le Cameroun, le régime a relayé dans ses médias des chimères. De même qu’il n’y a pas eu de match rejoué, il n’y a pas eu de démenti de la question proférée par Macron.
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Rappelé le 2 octobre en guise de protestation, l’ambassadeur algérien à Paris, Mohamed Antar Daoud, a discrètement, et la queue entre les jambes, rejoint son poste le 6 janvier 2022. Un retour humiliant, vu que les autorités françaises ne sont pas revenues sur les propos de Macron qui ont provoqué la «crise» diplomatique avec Alger.
Une «force de frappe» bien tendreLe nœud gordien est resté intact, mais cela n’a pas empêché le président algérien Abdelmadjid Tebboune de faire sienne la victoire d’Emmanuel Macron, les yeux de Chimène tournés en direction de la France, après sa réélection, le 24 avril 2022. «Qu’il s’agisse de mémoire, de relations humaines, de consultations politiques ou de projections stratégiques, de coopération économique et d’interactions dans toutes les sphères de travail en commun, la vision rénovée, pleinement respectueuse des souverainetés et de l’équilibre des intérêts, que nous partageons, a le potentiel d’ouvrir à nos deux pays de vastes horizons d’amitié, de convivialité harmonieuse et de complémentarité mutuellement avantageuses», écrivait le chef d’Etat algérien à son homologue français. Il faut se frotter les yeux et se mouiller la nuque plusieurs fois pour comprendre que c’est le même personnage qui parle de l’Algérie en tant que «force de frappe» qui dit des mots aussi gentils. Oubliés la terrible question de Macron, la levée de boucliers, les serments la main sur le cœur que cet affront ne restera pas impuni. On dit bien qu’un pays sans histoire est un pays sans mémoire. Pour le cas de la junte, cela se vérifie avec une acuité qui défie le temps.
La case qui manque, ce n’est pas seulement celle de la cohérence politique, mais aussi, et surtout, celle de la profondeur historique. La junte a beau réécrire l’histoire, s’appropriant nombre d’us et coutumes (et jusqu’à la Koutoubia) du Maroc ou effaçant les traces du Royaume dans des villes comme Tlemcen, le trou est toujours aussi béant. Voir la cérémonie d’iftar, sans couleur et sans saveur, accordée par la présidence algérienne à une délégation italienne de haut niveau le ramadan dernier, c’est se rendre compte que des siècles d’histoire, de civilisation et de savoir-vivre restent à remplir. Passons sur l’attitude du président algérien au cours de la visite d'Etat en République de Turquie. Les images se passent de tout commentaire.
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Preuve, s’il en faut encore, de ce manque criard en savoir-être: le code vestimentaire pour le moins fantasque de celui qui est censé être la vitrine de son pays. Le nombre de fois où il s’est mouché dans un même mouchoir, sur une petite allée, pousse à s’interroger sur les aspects protocolaires les plus élémentaires qui structurent un Etat. Cette séquence de mouchage de nez est indigne d’un chef d’Etat.
Quant à Belani, qui souffre de plusieurs maladies chroniques et qui avait demandé, selon un média algérien naguère proche de Gaid Salah et aujourd’hui à l’arrêt, à rester en poste à Bruxelles rien que pour bénéficier de bons soins médicaux, il devrait garder à l’esprit le triste sort réservé à son collègue qui était au puissant département Paix et sécurité à l’UA. Smail Chergui éructait tout aussi fort que Belani et il a fini sa carrière à Alger en tant que fonctionnaire vacataire au Parlement.