Depuis que le dossier a été exposé au sein des commissions thématiques de la mairie, le terrain de Aïn Sebaâ a été présenté comme un bien communal classé «espace vert» depuis plus de vingt ans, soudainement attribué à la société privée Bafella SARL. La réalité est pourtant différente. À l’origine, ce terrain appartenait à Bafella, une société immobilière détenue par la famille Najieddine, connue pour avoir réalisé, au milieu des années 1990, le complexe résidentiel Al Hadika, l’un des premiers projets de moyen standing à transformer la partie est de Casablanca.
Jusqu’à récemment, ce complexe abritait les studios de Radio 2M et, au rez-de-chaussée de ses immeubles, des dizaines de cafés et restaurants très fréquentés tout au long de l’année. À l’extension de cet ensemble immobilier, le terrain aujourd’hui revendiqué par la commune est utilisé comme parking de fortune à ciel ouvert. Son emplacement stratégique est indéniable: seule la «Route de Rabat» le sépare du parc zoologique de Aïn Sebaâ, et il se trouve à quelques dizaines de mètres seulement du siège de la préfecture, du tribunal correctionnel, de Marjane, de Bricoma, de la gare ferroviaire et d’autres infrastructures majeures de la ville.
Les images captées par notre caméra ce jeudi 4 décembre révèlent l’étendue de cette parcelle très convoitée.
Images filmées par Sifeddine Belghiti
Les habitants du quartier savent que, historiquement, ce terrain– ajouté à celui qui abrite aujourd’hui la résidence Al Hadika– appartenait à la famille Najieddine, qui y exploitait autrefois une vaste pépinière connue sous le nom de Vita.
Les documents de la conservation foncière indiquent que le titre foncier C/8447 correspondant à ce terrain, est inscrit au nom de Bafella SARL depuis l’an 2000. Dans le plan d’aménagement initial, lors de l’établissement du lotissement, ce terrain était toutefois destiné à accueillir un équipement public, en l’occurrence un jardin. La société Bafella a contesté ce décret d’aménagement, engageant une action devant la Cour de cassation contre l’ensemble des parties impliquées, notamment la commune et le gouvernement (représenté par l’agent judiciaire du Royaume).
Il convient de rappeler que toute contestation d’un décret de plan d’aménagement se fait directement devant une chambre administrative de la Cour de cassation, dont le jugement est définitif, sans passer par un tribunal de première instance ni une cour d’appel. Dans ce dossier, la Cour de cassation a rendu, en 2017, un arrêt confirmant que le terrain avait perdu sa vocation publique. La juridiction a estimé que la commune n’avait pas réalisé l’équipement prévu par le plan initial dans le délai légal de dix ans.
Huit ans plus tard, en janvier 2025, la commune revient à la charge et demande au conservateur foncier de Aïn Sebaâ de lui transférer la propriété du titre foncier du lot, au motif qu’il s’agirait exclusivement d’un espace vert. Elle s’appuie pour cela sur l’article 29 de la loi 25-90 relative aux lotissements, groupes d’habitations et morcellements. Cet article stipule que, dans le cas d’un lotissement «ouvert», les voies de circulation, les espaces verts et les lots destinés à des équipements publics, autrement dit les infrastructures collectives, doivent être transférés gratuitement à la commune après la réception provisoire des travaux de viabilisation.
Méconnaissant l’existence de l’arrêt rendu en 2017 par la Cour de cassation, et visiblement induit en erreur, le conservateur a accepté la requête. Le terrain a alors été inscrit au nom de la commune, en dépit du jugement définitif qui confirmait la perte de vocation publique du lot.

La société Bafella, appuyée par le jugement de 2017, a alors demandé au conservateur de radier ce transfert. Face au refus de la conservation, qui estimait que le jugement de la Cour de cassation ne suffisait pas, Bafella a saisi le tribunal administratif. Ce dernier a rendu un jugement en faveur de la société et a ordonné la radiation du transfert. Le conservateur a alors exécuté cette décision, restituant officiellement le terrain à Bafella SARL.
«Le conservateur n’a fait qu’exécuter les décisions de justice. Il n’a pas transféré la propriété, il a seulement radié le transfert effectué à tort en faveur de la commune», insiste-t-on auprès de la conservation foncière de Aïn Sebaâ.

Que veut-on faire de ce terrain aujourd’hui?
Les dirigeants de la société Bafella demeurent pour l’instant discrets, même si certaines rumeurs leur prêtent l’intention d’y construire un hôtel. Du côté de la commune, les élus affichent clairement leur volonté d’y aménager un parking souterrain, d’autant que le zoo de Aïn Sebaâ, situé juste en face, dont l’ouverture est prévue le 22 décembre comme nous le révélions dans un précédent article, ne dispose d’aucune infrastructure dédiée au stationnement.
Qu’il s’agisse d’un hôtel ou d’un parking, tout projet devra obtenir de nouvelles autorisations communales et se conformer au nouveau plan d’aménagement de Aïn Sebaâ, actuellement en cours d’approbation. Une certitude toutefois: l’option d’un espace vert est aujourd’hui définitivement exclue. Le code de l’urbanisme stipule en effet qu’un équipement prévu dans un plan d’aménagement ne peut être réimposé au-delà de dix ans si la collectivité n’a pas réalisé le projet initial dans les délais impartis. Cette situation pose immanquablement la question de la responsabilité des anciennes équipes dirigeantes de la mairie, qui ont laissé s’écouler les années sans mettre en œuvre le jardin prévu depuis 2000, ouvrant ainsi la voie à la contestation judiciaire de Bafella.
À Aïn Sebaâ, le terrain qui attise toutes les convoitises. (S.Belghiti/Le360)
Cette affaire n’empêche pas d’alimenter les spéculations sur ce qui se joue en coulisses. Selon certains élus, des négociations auraient porté sur une possible scission du terrain en deux parties, l’une revenant à Bafella, l’autre à la commune. Faute d’accord, la tension serait montée d’un cran, poussant Lhoucine Nasrollah, deuxième vice-président du conseil de la ville, à adopter un ton martial: «Nous ne vous céderons pas ce bien. Vous nous le rendrez par la force de la loi.»
La suite se jouera désormais sur le terrain judiciaire, où le dossier pourrait connaître de nouveaux rebondissements. En attendant, Bafella reste, jusqu’à preuve du contraire, le propriétaire exclusif du terrain.

















