Pour un premier coup d’essai du Britannique Rory Fleming-Stewart dans le grand journalisme, comme il aime à le dire sur sa page Facebook, on ne peut pas dire que c’est un coup de maître. C’est plutôt à un long et pénible exercice d’anti-journalisme consacré à l’affaire Omar Radi qu’il se livre sur le site britannique Meghrebi. Le très jeune journaliste, au lieu de frapper fort, est passé à côté de son sujet. Il a tout simplement commis tout ce qu’un journaliste novice devrait impérativement éviter: s’attaquer à un sujet plus grand que soi et dont on ne maîtrise pas les tenants et aboutissants, se contenter d’une seule version, quelle qu’elle soit, et, surtout, prendre ses a priori et autres préjugés pour de la vérité vraie. Sans parler du ton trop militant pour être crédible et jouant trop sur l’émotion pour être un tant soit peu percutant. Bref, nous sommes face à un interminable et total ratage.
Ainsi en est-il allé du médiocre article de Fleming-Stewart, publié sous le titre «Omar Radi: le martyre de la politique d’élimination de la presse libre au Maroc». Tout Marocain averti saura d’emblée qu’il s’agira d’une énième dénonciation d’un procès suite auquel un journaliste a été condamné au Maroc… pour viol. Ceci, sous prétexte de droits de l’Homme et de liberté de la presse. Le lecteur étranger y aurait, lui, trouvé matière à fantasmes sur cet ogre du tiers-monde, cette monarchie millénaire, ce Royaume qui a survécu à tous les complots, toutes les intrigues, qu’est le Maroc. C’est connu, c’est lassant, mais on s’y habitue. Rory Fleming-Stewart fait encore plus fort que tous les détracteurs du Maroc qui s’y sont essayés. Il se base en tout et pour tout sur une interview du père d’Omar Radi, Driss, assisté de son fils Mehdi.
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Assez pour qu’un simple échange autour des conditions de détention du prévenu permette au jeune pouce du journalisme britannique de construire tout un récit autour d’un Maroc du Moyen-âge. Un Maroc où Omar Radi a «été torturé en prison et ne survivra peut-être pas à ses dernières années derrière les barreaux», où le chef de la sécurité marocaine, entendez le patron du pôle DGSN-DGST, Abdellatif Hammouchi, a pris le pouvoir, que dis-je? Tous les pouvoirs. Au point qu’à l’heure où nous vous en parlons, il «est en train d’organiser un coup d’État de palais». Le tout, «conduisant le pays vers un État en déliquescence que Londres, Paris et Washington ne peuvent plus soutenir ni raisonner». Pour un journaliste novice, qui se félicite de son premier article publié, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il a déjà des contacts au plus haut niveau dans les centres du pouvoir, au Royaume-Uni, aux États-Unis et en France.
Quand Hammouchi cristallise tous les fantasmes sur le Maroc
L’auteur avoue lui-même, certainement pour l’avoir visité le temps de son entretien, que le Maroc apparaît comme un prodige de l’Afrique du Nord, un haut lieu touristique animé et cosmopolite, accueillant plus que favorablement les esprits libres avec une stabilité rare dans le monde arabe, «sortant relativement indemne du printemps arabe de 2011 et devenant un acteur clé de la géopolitique régionale, du commerce, de la culture et du sport ces dernières années».
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Sauf qu’une phrase plus loin, il nous dépeint un pays «contrôlé par un appareil de renseignement et de sécurité redouté et impitoyable» qui «s’est glissé dans le vide laissé par son roi Mohammed VI, qui a presque abdiqué». Hammouchi est même érigé en potentiel roi de l’ombre, dont le règne est marqué par une farouche répression de toute dissidence ou critique. Et non, vous ne rêvez pas. Et si un journaliste débutant ayant quelques jours à peine «de Maroc» le dit, il faut le croire sur parole et ne surtout pas s’étonner de le voir repris à droite et à gauche. Sauf que c’est du pur délire.
À commencer par le point même de départ de Rory Fleming-Stewart, à savoir «l’enfer» que vit Omar Radi. Le démenti, c’est le propre père du détenu qui l’apporte sur sa page Facebook. Driss Radi affirme ainsi avoir accepté de témoigner devant le journaliste britannique. Mais alors que ce dernier érige Mehdi, le fils de Driss et frère d’Omar, en expert ès tout, qui décortique les dessous de la «normalisation» des relations diplomatiques entre le Maroc et Israël avec la même aisance que l’utilisation par le «régime» du levier des migrants subsahariens comme arme dans son bras de fer avec l’Europe, Driss Radi précise que Mehdi était là… uniquement en tant qu’interprète, le père ne maîtrisant pas l’anglais et le journaliste étant faible en français. «Mehdi ne s’intéresse même pas à la politique… et des parties de l’article n’ont strictement rien à voir avec les axes sur lesquels nous nous étions mis d’accord avant l’interview», explique-t-il.
Driss Radi ajoute qu’il est inconcevable qu’il ait dit que son fil Omar a bon moral, qu’il est en bonne santé et qu’il ait en même temps affirmé «que nous avons peur pour sa vie». Se dissociant totalement du contenu de l’article, il précise que son fils «ne se plaint d’aucun abus».
Deep state
On l’aura compris, même si ni Omar Radi ni sa famille n’ont jamais dit que le détenu a été torturé, le journaliste force volontiers le trait uniquement parce que «ça le fait» pour la trame de son récit, truffé de luttes féroces secrètes, de sang, d’intrigues dans les salles feutrées du Palais pour que l’image réponde à un orientalisme droitdelhommiste convenu, mais franchement has been, pour ne pas dire lassant. Faire dire des choses au frère de Radi, qui devient à la fois analyste de la réalité intérieure du Maroc, constitutionnaliste, géopoliticien, politologue et expert ès états d’âme du Makhzen, pour mieux faire passer la couleuvre, est par contre puéril.
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Quant au véritable film sur la prise de pouvoir par un Hammouchi qui «a cultivé un culte de la personnalité à une échelle sans précédent», suscitant des spéculations sur le fait que non seulement «il fait régner l’ordre, mais qu’il détient les rênes du pouvoir marocain» devenant l’incarnation même du «Makhzen», l’assertion est pour le moins risible. Mais qu’a donc fait Hammouchi pour mériter tant d’honneur? Son seul tort est à l’évidence d’être un bon patron de la sécurité et du renseignement. D’avoir mis de l’ordre, justement, dans ces deux secteurs vitaux, les érigeant en fiertés nationales. Mais Hammouchi agit dans le strict cadre de ses fonctions.
Pour le reste, le pays a ses institutions, exécutives, législatives et judiciaires qui fonctionnement qui plus est à plein régime. Même hostile, aucun observateur avisé n’osera affirmer le contraire. Oui, mais cette réalité ne correspond pas à ceux qui ont des préjugés tenaces contre le pays, pour ne pas dire des clichés datant des années de plomb et de Tazmamart. Il y a forcément un «deep state» et Hammouchi n’est rien d’autre qu’un général Oufkir en puissance. Non, cette image ne peut pas correspondre à la réalité. Elle est fausse et sortie tout droit de l’imagination de «journalistes» qui cherchent à frapper les esprits par des contenus sensationnalistes. Ils viennent au Maroc comme ces touristes qui pensent trouver des dromadaires à Tanger ou à Rabat. Et même quand le décor ne correspond pas à leurs attentes, ils essaient par des moyens factices de le recréer pour ne pas sombrer dans des angoisses cognitives. C’est cela l’orientalisme droitdelhommiste. Et si le Maroc avance, certains voudraient toujours le voir avec des lunettes du milieu du siècle dernier. C’est leur problème après tout.
Quant à Hammouchi, qu’il poursuive surtout son travail professionnel et les réformes salvatrices introduites dans deux importantes institutions de ce pays. Les fantasmes hilarants dont il fait l’objet sont la marque patente qu’il est sur la bonne voie.