Dans la soirée de lundi dernier, 27 juin 2022, à New York, l’Etat des Emirats arabes unis, membre non permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, a officiellement rejeté la candidature de l’ancien ministre algérien des Affaires étrangères, Sabri Boukadoum, au poste (vacant) d’émissaire onusien en Libye, soumise par le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres. Les Emirats ont parlé au nom des pays de la région.
Ce revers est d’autant plus cinglant pour la diplomatie algérienne qu’il est arrivé de là où elle l’attendait le moins. A savoir de la part du représentant même des pays arabes au sein du Conseil de sécurité de l’ONU et ce, au moment où l’Algérie a fait de l’accueil du prochain sommet de la Ligue arabe son objectif du siècle.
Désignée par la grâce de la rotation par ordre alphabétique des Etats membres de la Ligue arabe, l’Algérie, dont le président Abdelmadjid Tebboune avait fixé la tenue du sommet arabe à mars dernier, a déjà été désavouée à travers un premier report de ce conclave qui s’est toujours tenu, sauf pour les sommets extraordinaires, au mois de mars de chaque année.
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Pour sauver la face, Ennahar online, un média proche des généraux algériens a, lui, présenté la candidature de Boukadoum au poste onusien en Libye comme étant une «autre réussite de la diplomatie algérienne et sa renommée» puisque, selon lui, «un seul pays sur 15 au sein du Conseil de sécurité a exprimé des réserves sur la proposition du SG de l’ONU de nommer Sabri Boukadoum comme émissaire en Libye».
Pourtant, les Emirats arabes unis ont clairement expliqué qu’ils ne sont pas les seuls à estimer que la nomination de Boukadoum en Libye est inappropriée. En effet, ils ont précisé devant les autres membres du Conseil de sécurité que «des pays arabes et des parties libyennes avaient fait part de leur opposition» à la nomination de l'ex-chef de la diplomatie algérienne.
«Les pays de la région s’opposent à la candidature algérienne et les Emirats ont seulement expliqué cette opposition aux membres du Conseil de sécurité. En plus des Emirats, le Maroc, l’Egypte et même la Libye s’opposent fermement à la nomination d’un médiateur algérien dans ce dossier», a appris Le360 de sources bien informées.
Le rejet de la candidature algérienne s’explique d’abord par une question de principe. «Il ne faut pas créer un précédent, car il y a un conflit d’intérêt manifeste entre la nationalité du médiateur et les intérêts de son pays qui sont directs par rapport à la Libye. La nomination d’un médiateur de nationalité algérienne va immanquablement le conduire à servir les intérêts de son pays», confie pour Le360 un diplomate, accrédité à Rabat, d’un Etat membre de la Ligue arabe. Le rejet de la candidature de l’Algérien intervient au plus mauvais moment pour la junte qui a activé tous ses relais propagandistes pour présenter le sommet de la Ligue arabe –qu’elle peine à organiser– comme l’évènement du siècle.
Ce sommet est au demeurant mal parti depuis le premier jour. Le régime algérien l’a géré de la même façon qu’il gouverne l’Algérie. Ce qui a conduit à une série d’annonces, annulées les unes après les autres. L’Algérie a d’abord échoué à donner une identité à ce sommet. Au début, on s’en souvient, c’était supposé être un sommet offensif contre les pays arabes qui ont normalisé leurs relations avec Israël, ainsi que sur «la cause sahraouie». Le régime algérien a subi un recadrage sévère de la part des Etats membres de la Ligue arabe. D’abord à travers la réaction du Conseil de coopération du Golfe (CCG) et ensuite, par le biais d’une directive du secrétariat de la Ligue arabe.
En effet, dans la déclaration finale prononcée à l'issue des travaux du dernier sommet du CCG, tenu 14 décembre 2021 à Riyad, les pays du Golfe ont réitéré leurs positions et décisions fermes en faveur de la marocanité du Sahara et de la préservation de la sécurité et de la stabilité du Maroc et de son intégrité territoriale.
Toujours en décembre 2021, le secrétariat de la Ligue arabe a adressé une note à l’ensemble des organismes qui lui sont affiliés pour leur recommander d’adopter une carte unifiée du monde arabe, comprenant la carte complète du Maroc, incluant le Sahara occidental. Comme un pied de nez à un régime déliquescent, cette carte sera arborée à Alger si jamais le sommet de la Ligue arabe à Alger venait à s’y tenir.
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Après l’échec de l’offensive contre le Maroc, le régime algérien a essayé de faire du retour de la Syrie à la Ligue arabe un enjeu du sommet attendu à Alger. Une question prématurée qui divise les Etats membres. «Le régime algérien a voulu gérer ce sommet comme il gère l’Algérie, c’est-à-dire en imposant l’improvisation comme un mode opératoire. Or, ce n’est pas avec de l’improvisation qu’on organise un sommet», commente un diplomate marocain.
Après la parenthèse syrienne, le régime a battu en retraite et a sorti de son chapeau un discours rassembleur des pays arabes, alors qu’en réalité la junte qui dirige ce pays ne peut en aucun cas prétendre à ce rôle, parce que dans les différents dossiers qui intéressent le monde arabe, elle a un rôle de spoiler. Il n’y a pas de cohérence entre les slogans, répétés par le régime, et ses actions. Le régime algérien n’a pas le rôle d’un acteur constructif, y compris sur la Libye. «Le régime algérien ne peut se prévaloir d’une seule action constructive sur le dossier libyen. Son rôle a toujours consisté à torpiller ce qui est en train d’être construit», précise le diplomate marocain.
De plus, du temps où Boukadoum était encore chef de la diplomatie algérienne, le président Abdelmadjid Tebboune a affirmé, dans une interview à Al Jazeera, que l’armée algérienne n’allait pas rester les bras croisés pour laisser Tripoli tomber. Et dire que c’est une coalition russo-égypto-émiratie qui a failli mettre la main sur la capitale libyenne!
Pour ces raisons, et bien d’autres cafouillages diplomatiques algériens encore, ce n’est certainement pas un Algérien qui peut ainsi se présenter comme l’homme de la situation en Libye.
Il faut également reconnaître que les diplomates algériens ont mauvaise presse quand il s’agit de briguer un mandat international, comme l’ont démontré, à titre d’exemple, les passages de Ramtane Lamamra et Smaïl Chergui à la tête de la Commission paix et sécurité de l’Union africaine, où ils ont toujours servi, en tant que doubles salariés, l’agenda du régime algérien plutôt que celui continental.
C’est ce qui explique que pour la deuxième fois consécutive, un ancien ministre algérien des Affaires étrangères voit sa candidature au poste d’émissaire des Nations Unies en Libye rejetée par un membre du Conseil de sécurité de l’ONU. Après Ramtane Lamamra, pressenti puis empêché en avril 2020 par les Etats-Unis de devenir le représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies pour la Libye, c’est au tour de son prédécesseur au ministère algérien des Affaires étrangères, Sabri Boukadoum, d’être lamentablement recalé. A ce rythme, les diplomates algériens auront du mal à se défaire de l’étiquette de serial looser.
Toujours prompt à dénaturer à coups de communiqués et sorties médiatiques de ses porte-voix ce qui se passe chez son voisin marocain, le régime algérien s’est emmuré, cette fois-ci, dans un silence assourdissant face au nouveau camouflet asséné par le monde arabe. Amar Belani, qui ânonne à longueur de journée sur le Maroc, a retenu son braiment sur cette affaire. C’est que le camouflet est sévère et anéantit les slogans du régime sur le prochain sommet de la Ligue arabe.