Les films qui les inspirent, leurs coups de cœur, leur rapport à l’IA… le jury du FIFM s’ouvre au public

Les membres du jury du Festival du film de Marrakech en conférence le 29 novembre 2025. (R.Bousfiha/Le360)

Le jury du 22ème Festival international du film de Marrakech s’est réuni, hier 29 novembre, pour sa traditionnelle conférence de presse, abordant tour à tour les œuvres qui ont façonné leur vision du cinéma, les films qu’ils intégreraient à la sélection officielle s’ils en avaient la possibilité et leur avis sur l’Intelligence artificielle, sans filtres pour certains.

Le 30/11/2025 à 15h59

La conférence de presse du FIFM 2025 tenue hier dans la salle des ambassadeurs s’est ouverte par un mot de Bong Joon-ho, président du jury, qui a insisté sur l’influence grandissante du festival. Selon lui, de nombreux jeunes talents, notamment en Corée du Sud, «prennent aujourd’hui conscience du poids du Festival de Marrakech et rêvent d’y faire projeter leurs œuvres». Une entrée en matière qui a rapidement installé le ton: celui d’un cinéma mondial en dialogue permanent.

Interrogés sur «un film qui les a le plus bouleversés», les membres du jury se sont confiés, révélant chacun un morceau de leur parcours artistique. La réalisatrice française Julia Ducournau, Palme d’or pour «Titane», a évoqué «The Red Balloon», le court-métrage d’Albert Lamorisse. Un film pour enfants, mais elle raconte avoir vécu «une expérience terrifiante» en le découvrant à 5 ans, un souvenir qui a sans doute nourri son goût pour les récits sensoriels et dérangeants.

Le cinéaste marocain Hakim Belabbes, originaire de Bejaâd où son père tenait la seule salle de cinéma de la ville, a cité «Manchali», un film indien dépouillé, «sans maquillage ni artifices». Il explique que cette œuvre lui a révélé la puissance du naturel, une leçon qu’il injecte dans son propre cinéma intimiste.

La scénariste et réalisatrice Celine Song, remarquée pour «Past Lives», a naturellement cité ce même film - son premier long-métrage- qui explore les amours impossibles et les vies parallèles. «Ce film m’a transformée et m’a fait devenir productrice donc c’est celui qui m’a le plus marquée», reconnaît-elle, évoquant la nécessité d’un contrôle total sur une œuvre aussi personnelle.

L’acteur et réalisateur iranien Payman Maadi, connu pour son rôle dans «Une séparation» pour lequel il a remporté l’Ours d’argent du meilleur acteur à Berlin, a choisi «Close-Up» d’Abbas Kiarostami, un mélange documentaire-fiction.

Et si le jury avait eu carte blanche pour enrichir la compétition officielle du FIFM, voici les réponses qui sont ressorties. Leurs choix témoignent d’un goût assumé pour les œuvres fondatrices. L’actrice américaine Jenna Ortega a évoqué «Sunrise: a Song of Two Humans», chef-d’œuvre muet de Murnau, un film symbole de l’expressivité pure.

Le président du jury, Bong Joon-ho, réalisateur oscarisé de «Parasite», a quant à lui cité deux œuvres: «Save the Green Planet», une satire sud-coréenne devenue film culte, et «Corpo Celeste», chronique italienne sensible sur l’adolescence d’Alice Rohrwacher. Payman Maadi, lui, a opté pour «The White Balloon», autre film majeur de Panahi écrit par Kiarostami, emblématique du cinéma iranien des années 1990.

La deuxième partie de la conférence s’est transformée en débat passionné autour de l’Intelligence artificielle. Les positions, quasi unanimes, oscillent entre méfiance, inquiétude ou rejet direct. Julia Ducournau a adopté une posture nuancée, reconnaissant que l’IA «peut réduire les coûts de production et faire gagner un temps précieux». Mais elle prévient immédiatement que «cela doit rester un outil, jamais un substitut à la dimension humaine du cinéma».

Celine Song, elle, se montre catégorique. «L’IA détruit la planète, manipule nos cerveaux et notre rapport à l’image», lance-t-elle, avant de conclure sans détour qu’«en tant qu’artistes, nous défendons l’humanité. Et que donc pour tout ça, j’emmerde l’Intelligence artificielle».

Jenna Ortega renchérit dans un registre plus philosophique. «L’enjeu est trop élevé pour jouer avec l’IA. C’est un ordinateur sans âme, consommé comme un fast-food», image-t-elle. Elle décrit cette technologie comme «une boîte de Pandore, une malbouffe mentale qui nous rend malades sans qu’on comprenne pourquoi».

Quant à Bong Joon-ho, il résume son point de vue en une seule phrase. «L’IA c’est bien, mais si je pouvais monter une armée pour la détruire, je le ferais quand même», ironise-t-il. Pour terminer sur une note plus légère, Hakim Belabbes a invité l’ensemble du jury à Bejaâd, sa ville natale pour manger de bons plats locaux.

Par Ryme Bousfiha
Le 30/11/2025 à 15h59