Ryad et Abou Dhabi ont cherché à faire preuve d'unité face à la crise, mais les combats meurtriers de la semaine dernière entre leurs protégés à Aden (sud) minent le front commun dans la guerre contre les rebelles Houthis, appuyés par l'Iran.
La prise samedi par des séparatistes du palais présidentiel à Aden porte en particulier un nouveau coup à l'Arabie saoudite, qui mène depuis 2015 la coûteuse intervention armée au Yémen, sans réussir à défaire les Houthis.
Cette bataille d'Aden a opposé des unités loyales au président Abd Rabbo Mansour Hadi, soutenu à bout de bras par Ryad, à la force appelée "Cordon de sécurité", formée par Abou Dhabi. Tous sont pourtant théoriquement alliés contre les Houthis, qui contrôlent la capitale Sanaa, au nord.
Mohammed ben Zayed, l'homme fort d'Abou Dhabi, dont le pays est un membre important de la coalition intervenant au Yémen, s'est rendu lundi en Arabie saoudite, près de La Mecque, pour s'entretenir avec les dirigeants saoudiens.
Les deux pays ont appelé les parties en conflit à Aden au "dialogue" et à "la raison", selon un communiqué émirati. Ce texte a aussi souligné que l'Arabie saoudite était "un pilier essentiel à la sécurité et à la stabilité régionales".
Mais, derrière cette cohésion affichée, il y a avant tout de la realpolitik, soulignent des experts.
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Dans sa guerre contre les Houthis, "l'Arabie saoudite a besoin de la force de combat du sud" entraînée par les Emirats, dit à l'AFP Fatima Abo Alasrar, analyste yéménite basée à Washington.
Si les Saoudiens veulent remporter ce conflit contre les Houthis, "ils devront encourager un cessez-le-feu et la réconciliation entre le gouvernement et les séparatistes", ajoute-t-il.
Les divisions dans le sud du Yémen résultent en partie d'objectifs divergents entre Saoudiens et Emiratis.
Les Emirats considèrent depuis longtemps le sud comme une base vitale pour étendre leur influence en mer Rouge et dans la Corne de l'Afrique. Ils ont financé et formé divers groupes qui leur sont aujourd'hui favorables.
Leur grand voisin saoudien considère de leur côté les Houthis comme une menace existentielle à sa frontière sud, comparant ces rebelles yéménites au Hezbollah libanais.
Le Yémen est devenu, au fil des ans, le champ de bataille par procuration entre Ryad et Téhéran, alors que les Houthis ont intensifié leurs attaques de drones et de missiles sur des villes saoudiennes.
Dans ce contexte, l'annonce en juillet par les Emirats d'une réduction de leurs troupes au Yémen a constitué un premier revers pour Ryad, malgré les assurances d'Abou Dhabi qu'il ne s'agissait pas d'un retrait complet.
"C'est un coup dur (...). Il sera difficile pour Ryad de remplacer les Emirats", dit Olivier Guitta, directeur général de GlobalStrat, société de conseil en risque géopolitique.
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A présent, Ryad a plus que jamais besoin du soutien émirati pour amener les séparatistes du sud du Yémen à la table des négociations.
Le ministère saoudien des Affaires étrangères a déclaré qu'il avait invité les parties en conflit à Aden à des pourparlers dans le royaume. Mais aucune date n'a été annoncée.
Le vice-ministre saoudien de la Défense, le prince Khaled ben Salmane, a averti que les luttes intestines pourraient être exploitées non seulement par les Houthis, mais aussi par d'autres groupes actifs au Yémen comme Al-Qaïda et le groupe Etat islamique (EI).
Les violences à Aden ont à ce titre augmenté le risque que des armes occidentales tombent entre les mains de milices locales, surtout après que le Sénat américain n'a pas réussi le mois dernier à empêcher la vente controversée de 8,1 milliards de dollars en armement à Ryad.
"La surveillance de l'utilisation finale a soulevé des préoccupations sur le transfert d'armes américaines par l'Arabie saoudite et les Emirats à diverses factions au Yémen, en particulier les séparatistes du sud", note Becca Wasser, analyste à la RAND Corporation basée aux Etats-Unis.
Les Etats du Golfe rejettent ce type d'affirmations, mais le retrait précipité d'Aden des forces gouvernementales, armées par Ryad, ravive la crainte que leurs équipements ne tombent entre les mains des séparatistes.