La France a créé l’Algérie en arrachant ce territoire à la Turquie. Or, si cette conquête a pu se faire, ce fut grâce à Vincent-Yves Boutin, un officier dont l’histoire a oublié le nom.
Alors que, par le passé, plusieurs tentatives, notamment espagnoles, de prise d’Alger par la mer avaient échoué, l’expédition française de juillet 1830 réussit parce que Boutin avait compris que la ville devait être attaquée par la terre, toutes les défenses turques étant dirigées vers la mer.
Vincent-Yves Boutin est né aux environs de Nantes le 1er janvier 1772, et il est mort en Syrie en 1815. Officier du génie, il participe à plusieurs batailles. La paix de Tilsitt signée au mois de juillet 1807 met fin à la guerre continentale et Napoléon envisage une expédition contre Alger. Mais, afin de préparer l’entreprise, conscient de ses dangers, il ordonne au capitaine Boutin de se rendre à Alger afin d’y étudier les diverses options d’un éventuel débarquement. Officiellement, Boutin part rendre visite à son prétendu «cousin» Dubois-Thainville, consul de France à Alger.
Le 24 mai 1808, Boutin débarque à Alger où, afin de donner le change, il tombe dans les bras de son «cher cousin», le consul Dubois-Thainville.
Boutin fait quelques promenades le long de la côte. Prétextant une partie de pêche, il longe le littoral, utilisant une ligne plombée afin de mesurer la profondeur de l’eau, donc des possibilités de débarquement. En conclusion de ses observations, il écrit que:
«(…) pour prendre Alger par la terre, il faut être maître du Fort l’Empereur qui domine toutes les autres fortifications. C’est donc là qu’il faut attaquer».
Certes, mais il faut trouver le bon point de débarquement. Et c’est à Sidi-Ferruch qu’il découvre l’emplacement idéal avec sa pente d’accès douce, son rivage accessible et son fond sablonneux. Son analyse est claire: le débarquement doit se faire à Sidi-Ferruch, loin des défenses d’Alger qui sera donc attaquée, non par la mer, mais par la terre, en les tournant.
Mission accomplie, 53 jours plus tard, le 17 juillet, Boutin embarque à bord du «Requin» qui met le cap sur Nice, mais, devant Ajaccio, une frégate anglaise capture le navire. Boutin est donc prisonnier des Anglais et, la mort dans l’âme, il doit jeter tous ses documents à la mer, sauf un petit carnet qu’il réussit à dissimuler.
Boutin est enfermé à Malte, mais il parvient à s’échapper.
«Vingt et un ans plus tard, au mois de juillet 1830, son plan d’attaque d’Alger sera exécuté à la lettre par le général de Bourmont.»
— Bernard Lugan
Le 31 août, il vole des vêtements et, se faisant passer pour un marin italien du nom de Niccolo, il devient membre d’équipage d’un petit bateau qui lève l’ancre à destination de Constantinople.
Après de nombreuses aventures, le 4 novembre, soit un peu plus de trois mois après avoir quitté Alger, Boutin est à Paris où, de mémoire et grâce à son petit carnet, il rédige un volumineux rapport intitulé Reconnaissance de la ville et des forts d’Alger. Son rapport contient de nombreuses cartes et des croquis, ainsi que la description des forts, l’emplacement des batteries, l’état des forces terrestres et maritimes du dey. Le mardi 21 février 1809, Boutin est reçu aux Tuileries par l’Empereur.
Vingt et un ans plus tard, au mois de juillet 1830, son plan d’attaque d’Alger sera exécuté à la lettre par le général de Bourmont.
Les aventures de Boutin ne sont cependant pas terminées.
Le 15 juillet 1810, un ordre de Napoléon le rappelle à Paris. Nommé colonel, l’Empereur l’envoie en Égypte avec pour mission de lui faire un rapport détaillé sur ce que l’on définirait aujourd’hui comme la «géopolitique» régionale. Officiellement, il est archéologue. Fin mai 1811, il débarque à Alexandrie et, afin de donner le change, il part pour Thèbes et la vallée des Rois où il effectue des fouilles. Il se rend ensuite en Arabie avant de revenir à Alexandrie.
Là, invité par le consul d’Angleterre, il est placé à table à côté de Lady Hester Stanhope, [1] fille de Lord Chatham et nièce de William Pitt. Il tombe immédiatement sous le charme de cette femme élégante, spirituelle, mais étrangement énigmatique.
Nous ignorons la suite de la mission de Boutin. Ce qui est certain c’est qu’il se trouve à Alep durant l’été 1814. Quelques mois plus tard, alors qu’il parcourt le Taurus et l’Anti-Taurus, il est assassiné entre Alep et Latakieh.
Lady Stanhope part à sa recherche, mais on ne retrouva jamais son corps.
[1] La bibliographie concernant Lady Stanhope étant considérable et de qualité inégale, la référence la plus utile est le livre de Thierry Boissel, La vie extraordinaire de Lady Stanhope: la vraie châtelaine du Liban. Paris, 1993.






