À rebours des prédictions, le président turc Recep Tayyip Erdogan a clos le premier tour est sorti en tête, dimanche 14 mai, du premier tour du scrutin présidentiel, avec 49,5% des voix, manquant de s’imposer dès le premier tour comme en 2018. Il sera défié par Kemal Kiliçdaroglu, le candidat de l’opposition au second tour, qui se déroulera le 28 mai prochain. En attendant, voici cinq leçons à tirer de cette élection.
L’économie «pas si importante»
La chute de la livre turque, qui a fait grimper l’inflation jusqu’à 85% à l’automne, était vue comme une épine dans le pied du président Erdogan. Mais le chef de l’État, qui a relevé par trois fois en un an le salaire minimum, a multiplié les promesses de campagne, parmi lesquelles le doublement du salaire des fonctionnaires.
Ces «mesures populistes» ont convaincu une frange de l’électorat, dans une Turquie où «le vote économique n’est pas si important que l’affirment les commentateurs», estime Berk Esen, chercheur en sciences politiques à l’université Sabanci d’Istanbul.
Pour remettre l’économie sur les rails, l’opposition promettait de relever les taux d’intérêt afin de ramener l’inflation «à un chiffre d’ici deux ans». Umit Akçay, professeur d’économie internationale, juge que ces promesses de l’opposition, susceptibles de freiner l’activité, «n’ont pas suscité d’enthousiasme chez les personnes déjà en difficulté».
Le vote kurde, insuffisant pour l’opposition
«C’est le vote kurde qui explique le bon score de l’opposition», note Yohanan Benhaïm, responsable des études contemporaines à l’Institut français d’études anatoliennes (Ifea) à Istanbul. Kemal Kiliçdaroglu a effectué ses meilleurs scores dans les provinces du sud-est à majorité kurde, notamment à Diyarbakir, où il a recueilli 72% des voix, après que le parti prokurde HDP s’est rangé derrière lui.
Mais les électeurs kurdes, longtemps présentés comme les «faiseurs de rois» de la présidentielle, ne sont pas parvenus à faire basculer l’élection. «La stratégie d’Erdogan, qui a consisté à lier l’opposition aux Kurdes, au PKK et au terrorisme, s’est avérée payante», relève Bayram Balci, chercheur au CERI-Sciences Po.
L’effet limité du séisme
Des rescapés du séisme avaient crié leur colère au lendemain du séisme dévastateur du 6 février, accusant l’État d’avoir tardé à intervenir dans leur provinces, notamment à Adiyaman et Hatay. Mais le président Erdogan a promis de reconstruire au plus vite 650.000 logements pour les rescapés du séisme. «Le message est apparu crédible» à une partie des électeurs, selon Berk Esen.
Le chef de l’État a ainsi conservé ses très hauts scores dans la plupart des provinces affectées par le tremblement de terre, recueillant 72% des voix à Kahramanmaras, 69% à Malatya et 66% à Adiyaman. À Hatay, son score est resté stable à 48%.
Percée nationaliste
La percée de Sinan Ogan, candidat ultranationaliste, est l’une des surprises du scrutin. L’ex-député a récolté plus de 5% des voix, alors que MM. Erdogan et Kiliçdaroglu sont eux-même alliés à des formations nationalistes. «Le nationalisme est une composante du paysage politique turc», c’est «une constante depuis les années 1990″, relève Umut Özkirimli, chercheur à l’Institut de recherches internationales de Barcelone (Ibei).
Le poids des nationalistes, dont les différentes formations ont, en cumulé, recueilli dimanche 22% des voix aux législatives organisées simultanément avec la présidentielle, peut aussi s’expliquer par la question des réfugiés syriens vivant en Turquie. «Le grand renversement de situation est que la droite et l’extrême droite sont désormais massivement au coeur du jeu», selon Yohanan Benhaïm.
Les mauvais comptes des sondeurs
Tous ou presque plaçaient Kemal Kiliçdaroglu en tête devant le président Erdogan, certains envisageant même une victoire de l’opposant dès le premier tour. Le président turc leur aura donné tort en manquant de s’imposer dès le premier tour comme en 2018, avec 49,50% des voix.