À l’approche de la réunion d’octobre où le Conseil de sécurité pourrait entériner l’autonomie comme unique issue pour le Sahara marocain, une atmosphère étrange plane sur le Maghreb. Le régime algérien donne l’impression d’un lapin saisi par le faisceau d’un phare: regard figé, démarche paralysée par la panique, et une logorrhée irrationnelle en guise de boussole.
Et pour cause: sous la présidence de Abdelmadjid Tebboune, la cause séparatiste du Polisario a été hissée au rang de priorité vitale pour la diplomatie comme pour l’appareil militaire algériens. Les relations d’Alger avec ses partenaires ont souvent été indexées sur l’attitude de ces derniers à l’égard du mouvement: un soutien s’accompagnait de largesses pétrolières; la moindre distance ouvrait la voie à la crise, jusqu’à la rupture. Cette ligne, assumée au prix d’intérêts internes, a nourri des tensions spectaculaires avec l’Espagne et la France, devenues emblématiques de cette diplomatie de conditionnalité.
Dans un rare moment de lucidité, le président Abdelmadjid Tebboune a reconnu que le régime algérien avait dépensé «l’argent de Crésus» — en arabe, «maal Qaroon» — pour financer «la cause sahraouie». La diplomatie d’Alger a, de son côté, traduit ce choix en une préoccupation quasi exclusive, frisant l’obsession: la défense du Polisario, érigée au-delà même des intérêts supérieurs de l’Algérie.
Aujourd’hui prise dans le maillage d’un soutien international accru à la vision marocaine, la direction algérienne apparaît en panne de cap. La nervosité transparaît dans les prises de parole de ses communicants et relais médiatiques: d’un côté, ceux qui instrumentalisent la déconvenue pour vouer aux gémonies les choix de Tebboune, sur fond de règlements de comptes entre clans; de l’autre, ceux qui s’arc-boutent sur le déni, refusant de voir la réalité et entretenant chimères et fantasmes.
«Comment convaincre une opinion publique à qui l’on a demandé de consentir à des renoncements lourds — infrastructures, niveau de vie, pouvoir d’achat — pour entretenir un projet séparatiste qui, au réveil, ressemble à un traquenard?»
— Mustapha Tossa
On a beaucoup glosé sur le rôle de l’administration américaine, qui aurait acculé Alger à considérer l’option marocaine de l’autonomie. En réalité, ceux qui, en Algérie, désignent Washington du doigt cherchent surtout à justifier la marche arrière que le régime s’apprête à opérer pour se remettre en phase avec la dynamique régionale et la légalité internationale. La pression américaine compte, certes, mais elle n’est pas l’unique moteur de ce réajustement.
Parmi les autres leviers décisifs figure celui de l’Union européenne. Alger et ses relais de lobbying avaient beaucoup misé sur une stratégie de blocage, en instrumentalisant des arguties juridiques autour des modalités d’accès au marché européen des produits originaires du Sahara marocain. Un temps, cette carte a produit un effet médiatique. Elle a toutefois été rapidement neutralisée par les propres instances de l’Union, qui considèrent, sans équivoque, que l’origine des marchandises, une fois dûment étiquetée, est pleinement marocaine. La distinction artificielle recherchée par les stratèges d’Alger n’a donc pas vocation à prospérer. Plus encore, la Belgique — cœur névralgique de l’architecture institutionnelle européenne — vient de rejoindre le large concert des États reconnaissant la souveraineté du Maroc sur son Sahara, consacrant ainsi l’isolement croissant de la thèse adverse sur la scène européenne.
L’autre levier qui a fait défaut à la stratégie algérienne est le levier russe. Longtemps perçue comme une bouée de sauvetage — à la fois sécuritaire et diplomatique — des postures d’Alger dans la région, Moscou n’offre plus la garantie qu’elle constituait par le passé. Au sein des Nations unies, son droit de veto n’apparaît plus mécaniquement aligné sur les intérêts algériens. Dans ce contexte, la contraction du soutien russe pourrait s’avérer, pour Alger, plus douloureuse et plus coûteuse politiquement que les effets conjugués de la pression américaine et du resserrement européen. À force de maladresses et de faux pas dans sa relation avec Moscou, le pouvoir algérien s’expose à perdre ce qui tenait lieu de gilet pare-balles diplomatique, au risque d’apparaître, sur la scène internationale, singulièrement désarmé.
Parmi les facteurs qui donnent à la stratégie algérienne des airs de «terminus» ou de «game over» figurent les leviers arabes et africains. Dans le monde arabe, le régime d’Alger est désormais jugé infréquentable; en Afrique, il traîne l’image de parrain du terrorisme et de vecteur d’instabilité. Pour de nombreuses capitales, le soutien à un séparatisme armé et violent constitue une tare majeure, politiquement et sécuritairement rédhibitoire.
Le régime algérien se trouve désormais prisonnier de ses propres contradictions. Soit il accepte le principe d’autonomie et ouvre une nouvelle page avec le Maroc et la communauté internationale; soit il persiste à s’opposer à une dynamique internationale favorable à Rabat, au prix d’un coût politique, diplomatique et économique qui deviendra rapidement intenable. Dans tous les scénarios, il lui faudra d’abord solder des complications domestiques.
Comment désarmer sans heurts des milices qu’il a longtemps armées et galvanisées? Comment gérer les camps de Tindouf — quelques dizaines de milliers de réfugiés, majoritairement non sahraouis — nourris, des années durant, d’un récit d’indépendance aujourd’hui en voie d’épuisement? Surtout, comment convaincre une opinion publique à qui l’on a demandé de consentir à des renoncements lourds — infrastructures, niveau de vie, pouvoir d’achat — pour entretenir un projet séparatiste qui, au réveil, ressemble à un traquenard?
Quelle que soit l’issue du vote au Conseil de sécurité le 30 octobre, l’Algérie pourrait connaître un choc politique d’une rare intensité, de ceux qui fissurent, de l’intérieur, les architectures de pouvoir les plus solidement établies.





