Sous les décombres de Gaza, les morts… et la plage?

Florence Kuntz.

Florence Kuntz.

ChroniqueSidérant la communauté internationale en proposant de transformer la bande de Gaza en station balnéaire, le président Trump teste indirectement l’Europe là où elle ne l’attendait pas: sur le terrain des droits fondamentaux plutôt que des droits de douane.

Le 08/02/2025 à 10h00

Ce n’est pas vraiment une surprise. L’annonce de Donald Trump et son idée de prendre en charge Gaza pour la reconstruire et en faire «la Côte d’Azur» du Moyen-Orient était totalement prévisible. Tant par le style Trump -«The Art of the Deal», selon son propre livre consacré à la matière- que par ses promesses de campagne électorale, durant laquelle il estimait que «Gaza pourrait être mieux que Monaco», et sa filiation assumée. Celui dans le bureau duquel trône le portrait d’Andrew Jackson, 7ème président des États-Unis, n’aurait-il pas simplement retenu toutes les leçons du premier «président populiste» américain, dont l’Indian Removal Act, le programme de déplacement forcé massif des Amérindiens? Illégal au regard du droit international, inhumain sur une Terre sainte où devraient être sacrés à la fois les droits de l’Homme et les droits spirituels des trois monothéismes, et irréaliste -comment imaginer que le peuple palestinien abdique quand, selon les mots d’Elias Sanbar, «la Palestine ne peut être sauvée qu’en Palestine»?…

S’il est trop tôt pour tirer toutes les conséquences de cette provocation, dont la première risque hélas d’être une «prime» aux radicaux des deux camps, analyser la réaction première des Européens dit beaucoup de ce qu’est l’UE en 2025.

La réponse de la Commission européenne? Silence assourdissant. Et pourtant, l’exécutif européen ne manque pas de porte-voix en la matière: sa présidente, Ursula Von der Leyen, qui n’hésite pas à dicter aux 27 sa propre géopolitique quand bon lui semble; le Haut Représentant à la Politique étrangère, Kaja Kallas, encore trop occupée cette semaine sur le front de l’Est. Et la commissaire à la Méditerranée? Celle qui peine à justifier de l’utilité de son portefeuille a encore perdu une bonne occasion de parler… Qui tacet consentire videtur?

Quelques États membres ont heureusement réagi de manière immédiate. En tête, l’Espagne -le ministre Albares a indiqué que, pour son gouvernement, «Gaza est la terre des Palestiniens de Gaza. Ils doivent rester à Gaza parce que Gaza fait partie du futur État palestinien sur lequel l’Espagne mise»- et la France, dont le ministère des Affaires étrangères a qualifié́ tout déplacement forcé de «violation grave du droit international» et «d’atteinte aux aspirations légitimes du peuple palestinien».

«Tous donnent finalement raison à Donald Trump, lequel voit l’Europe comme la somme, à peine arrondie, d’intérêts particuliers, et affiche sa préférence pour les relations bilatérales, conviant à son investiture quelques dirigeants politiques européens choisis.»

La Pologne, qui préside pour un semestre le Conseil, s’est déclarée favorable à une solution à deux États: «Tout comme nous disons que nous ne pouvons pas décider de l’Ukraine sans l’Ukraine, nous ne pouvons pas décider de la Palestine sans les Palestiniens». Une solution à deux États également rappelée par Rome et Berlin, l’Allemagne ajoutant précautionneusement qu’elle «attendra de voir comment la situation évolue après les premières déclarations faites aux États-Unis et ne fera de commentaires que lorsqu’elle sera plus concrète». Plus prudent encore, le nouveau ministre belge des Affaires étrangères s’est contenté de qualifier les propos de Donald Trump d’«outranciers».

Tous donnent finalement raison à Donald Trump, lequel voit l’Europe comme la somme, à peine arrondie, d’intérêts particuliers, et affiche sans ambiguïté sa préférence pour les relations bilatérales, conviant à son investiture quelques dirigeants politiques européens choisis, tout en snobant Von der Leyen. De même, le chef de la diplomatie américaine a fait attendre Kallas plus d’une semaine, après l’investiture, pour un premier contact. Il avait d’abord préféré s’entretenir avec quelques homologues européens, parmi lesquels le Polonais Sikorski, le Danois Rasmussen, le Hongrois Szijjártó et l’Italien Tajani.

Incapable de condamner sur le champ et d’une seule voix «l’offre» de Trump, en portant simplement les quelques valeurs communes du projet européen, pour elle-même et pour le reste du monde, on imagine mal l’UE répondre ensuite de concert à la question, pourtant légitime, posée par le président américain. Que faire du champ de ruines qu’est devenu Gaza? Si l’interrogation et sa réponse volontairement provocatrice s’adressent d’abord aux voisins arabes des Gazaouis -«Nous encourageons les pays qui expriment beaucoup d’inquiétude à s’impliquer et à apporter une solution à ce problème», a précisé Marco Rubio, le chef de la diplomatie américaine-, elles valent aussi pour des Européens qui restent parmi les principaux contributeurs aux besoins fondamentaux des Palestiniens.

L’aide fournie par les États membres de l’UE a considérablement augmenté depuis la guerre, dont 1 milliard d’euros mobilisés depuis octobre 2023. L’UE a lancé une opération de pont aérien humanitaire pour acheminer près de 3.800 tonnes de fret, tandis qu’un corridor maritime pour l’aide d’urgence entre Chypre et Gaza a complété les itinéraires terrestres et que plusieurs États membres, dont la France, les Pays-Bas et la Belgique, ont également fourni de l’aide au moyen de parachutages, onéreux et surtout symboliques.

Au vu de la dichotomie entre les engagements financiers des Européens pour Gaza et la volonté de l’UE de peser politiquement en faveur des territoires palestiniens, on pourrait finalement enrichir le dicton populaire palestinien, selon lequel «les gouvernements arabes sont pour la cause palestinienne et contre les Palestiniens», de la formule inverse: «Les gouvernements européens sont pour les Palestiniens, mais contre la cause palestinienne».

Par Florence Kuntz
Le 08/02/2025 à 10h00

Bienvenue dans l’espace commentaire

Nous souhaitons un espace de débat, d’échange et de dialogue. Afin d'améliorer la qualité des échanges sous nos articles, ainsi que votre expérience de contribution, nous vous invitons à consulter nos règles d’utilisation.

Lire notre charte

VOS RÉACTIONS

0/800