Le limogeage du général-major Mohamed Kaidi, bien qu’encore non officialisé, est véridique. Plusieurs médias algériens ont rapporté cette information, que Le360 a également pu confirmer auprès de ses sources.
En elle-même, cette mise à l’écart constitue un séisme, car Mohamed Kaidi était quasiment un deuxième chef d’état-major au sein de l’armée algérienne. Et ce, depuis que l’actuel patron de l’armée et de l’Etat algérien, le général Said Chengriha, l’a installé, en avril 2020, en tant que chef du département emploi et préparation au sein de l’état-major, un poste stratégique de coordination opérationnelle qui permet au général Kaidi d’avoir la haute main sur les différents corps de l’armée (terre, air, mer).
Son prédécesseur à ce poste, le général-major Mohamed Bachar a été envoyé en prison à l’instar d’ailleurs de tous les généraux qui gravitaient autour de l’ancien chef de l’armée algérienne, le défunt général Gaïd Salah, et qui ont subi la vindicte des généraux à la retraite, mais toujours très actifs, Mohamed Mediène «Toufik» et Khaled Nezzar.
D’ailleurs, d’aucuns étaient jusqu’ici surpris que le général Mohamed Kaidi ait non seulement échappé à la purge qui a frappé le clan de Gaïd Salah, lui qui était parmi les généraux les plus proches du chef d’état-major défunt et de son bras répressif, le général-major (dégradé au rang de soldat deuxième classe) Wassini Bouazza, mais aussi qu’il soit promu à une haute fonction, et même promis à devenir un jour le chef de l’armée de terre, tremplin assuré vers le poste de chef d’état-major.
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Dans une armée où le chibanisme est la règle, Mohamed Kaidi faisait figure de mascotte. Il s’exprimait dans un anglais approximatif, en français, en plus de l’arabe, ce qui en faisait une figure qui redorait l’image du régime des généraux séniles et souvent quasi-analphabètes. Sur les réseaux sociaux algériens, des vidéos et plusieurs pages glorifient le général Kaidi.
Selon le site Algeriepart, ces dernières semaines, Mohamed Kaidi était «pressenti pour remplacer l’actuel commandant des forces terrestres, le général-major Amar Athamnia qui est affaibli par une maladie handicapante et qui a exprimé depuis plusieurs mois le désir de partir en retraite pour les besoins de ses soins intensifs.»
C’est finalement le «manque d’expérience» qui aurait été brandi par la gérontocratie militaire pour opposer son veto à la promotion à ce poste d’un jeune général de… 60 ans, qui serait ainsi devenu le remplaçant potentiel de Said Chengriha, lui aussi très malade.
Pourtant, le choix du général Mohamed Kaidi, le 27 octobre dernier, pour représenter l’Algérie à la 13e réunion à Nouakchott des chefs d’état-major des armées des pays membres de l'Initiative «5+5 Défense» (les 5 pays maghrébins avec l'Espagne, la France, l'Italie, Malte, le Portugal), montre qu’il y a deux semaines seulement, cet homme avait encore la confiance totale de sa hiérarchie. Que s’est-il passé depuis pour qu’on en arrive à ce brusque retour de manivelle contre le général Kaidi?
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Certains analystes, à l’instar du journaliste Hichem Aboud, ancien officier dans l’armée algérienne, estiment que le montage, puis la gestion catastrophique de l’affaire des trois camionneurs algériens tués le 2 novembre dernier près de Bir Lahlou, dans la zone tampon la plus au nord-est du Sahara marocain, aurait fait sortir Mohamed Kaidi de ses gonds. On parle même d’un tête-à-tête houleux entre lui et le général Chengriha concernant ce nouveau fiasco propagandiste. Kaidi aurait demandé comment des camionneurs algériens ont été autorisés à pénétrer dans une zone de guerre.
D’autres observateurs ajoutent que Mohamed Kaidi, généralement présenté comme l’homme des Occidentaux au sein d’une armée gavée à l’armement russe, fait aujourd’hui les frais de la profonde crise que traversent actuellement les relations franco-algériennes. Il aurait même vu d’un très mauvais œil les manœuvres de l’émissaire Ramtane Lamamra au Mali, visant à évincer l’armée française de ce pays aux prises avec le terrorisme et à y faire venir les mercenaires russes de la société Wagner.
Cette vraie-fausse «rébellion» place désormais Mohamed Kaidi, ce général-caméléon qui a su s’adapter aux luttes claniques, dans l’anti-chambre du tribunal militaire de Blida et de la prison de Ben Aknoun. Ce qui met en état de choc de très nombreux officiers supérieurs algériens, incrédules devant la brutalité de la déchéance de celui qui était le chouchou de l’ANP, il y a à peine 15 jours. En tout cas, on assiste à la répétition du même modus operandi qui a récemment envoyé en prison deux ex-puissants généraux, Abdelhamid Ghris, ancien secrétaire général du ministère de la Défense emprisonné en juillet 2021, et Mohamed Bouzit, ancien patron de la Direction de la documentation et de la sécurité extérieure (DDSE), les services d’espionnage, limogé, puis arrêté en septembre dernier.
Ce qui est sûr aujourd’hui, c’est que l’un des derniers hauts gradés de Gaid Salah est frappé aussi par la main vengeresse de Toufik et Nezzar, dont le traumatisme vécu pendant l’incarcération du premier et la fuite du second les rend aveugle à toute autre considération que leur vendetta.
Ce qui est sûr aussi, c’est qu’avec l’éviction du général Mohamed Kaidi, probablement suivie de son incarcération, le régime militaro-politique étale une nouvelle fois au grand jour, et au moment où il fait résonner les bruits de botte à sa frontière Ouest, les dissensions qui déchirent l’armée algérienne. Plus de 30 généraux algériens sont emprisonnés. Les autres sont terrorisés à la perspective de se retrouver derrière les barreaux. Le véritable ennemi pour eux n’est pas aux frontières, mais à Alger.