La sentence est tombée. Brutale et incompréhensible, à l’image du régime dictatorial qui vient de la prononcer. Christophe Gleizes a été condamné en appel, mercredi 3 décembre à Tizi Ouzou, à sept ans de prison ferme et voit ainsi confirmée la peine prononcée à son encontre en première instance, le 29 juin dernier.
Quelques heures plus tôt, le parquet avait requis dix ans de prison ferme et 500.000 dinars (3.300 euros) d’amende, arguant que «l’accusé n’est pas venu en Algérie pour accomplir un travail journalistique, mais [pour commettre] un acte hostile». Les excuses et les regrets de Christophe Gleizes, au bord des larmes au cours de l’audience, n’y ont rien changé. «Je réclame votre clémence pour pouvoir retrouver ma famille», avait-il déclaré, en vain.
Pour l’heure, la stupeur est totale parmi ses proches et ses nombreux soutiens, car après la libération de l’écrivain et essayiste franco-algérien Boualem Sansal le 12 novembre dernier, l’espoir d’une même issue pour le journaliste français n’avait cessé de croître. Un espoir balayé d’un revers de la main par le tribunal de Tizi Ouzou qui le poursuit pour «apologie du terrorisme» et «possession de publications dans un but de propagande nuisant à l’intérêt national» algérien.
Ce qui est (réellement) reproché à Christophe Gleizes
Christophe Gleizes, journaliste spécialisé dans le football africain, collaborateur de So Foot et Society, se trouvait à Tizi Ouzou, en Kabylie, lors de son arrestation en mai 2024 et son placement sous contrôle judiciaire avec interdiction de quitter le territoire algérien jusqu’à la tenue de son procès. Depuis, 19 mois se sont écoulés, dont cinq passés dans une prison de Tizi Ouzou depuis la tenue de son procès en première instance le 29 juin.
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Les autorités algériennes lui reprochent un reportage réalisé sur la JSK, la Jeunesse sportive de Kabylie, l’un des plus importants clubs de foot d’Algérie. Le rapport avec le terrorisme? Aucun, si ce n’est que l’un des dirigeants du club avec lequel il est entré en contact est aussi un responsable du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), le mouvement indépendantiste kabyle, considéré par les autorités algériennes comme une organisation terroriste. Il s’agirait d’Aksel Bellabbaci, avec lequel le journaliste est entré en contact dès 2014, dans le cadre d’un premier reportage dédié au club de football kabyle et d’une enquête menée sur le décès, un an plus tôt, dans des circonstances suspectes, de l’attaquant camerounais de la JSK, Albert Ebossé.
Le nom d’Aksel Bellabbaci n’est d’ailleurs pas inconnu du grand public français depuis que cet opposant algérien réfugié en France a pris la parole à visage découvert dans une enquête diffusée lors du JT de France 2 en mars dernier, afin de raconter les pressions exercées à l’encontre des opposants au régime par les autorités algériennes en vue de les faire taire. Condamné par contumace à la prison à perpétuité pour «atteinte à l’unité nationale», le militant indépendantiste kabyle racontait notamment les manœuvres entreprises par les autorités algériennes pour le faire taire. «Ma propre famille a subi ce genre de pressions. Ce qu’on nous demande, c’est de faire allégeance au régime algérien», expliquait-il au mois de mai dans un entretien exclusif avec Le360.
Autre grief à l’encontre de Christophe Gleizes, sa présence en Algérie sans un visa «presse» dont il aurait dû faire la demande auprès des instances consulaires algériennes en France. Entré sur le territoire avec un visa touristique, le journaliste a présenté ses excuses au tribunal, admettant avoir commis une erreur en ne présentant pas un visa approprié. Sa décision, motivée certainement par la quasi-impossibilité pour un journaliste étranger de pénétrer sur le territoire à des fins professionnelles, aurait toutefois pu être sanctionnée par une simple expulsion du pays. Pour rappel, en novembre 2024, le journaliste de Jeune Afrique, Farid Alilat, avait par exemple été renvoyé vers Paris sans être poursuivi, alors même qu’il ne possède que la nationalité algérienne.
Christophe Gleizes, otage des tensions entre Alger et Paris
Le cas de Christophe Gleizes illustre à coup sûr la crispation du régime à l’égard de la question kabyle mais aussi et surtout un besoin de contraindre Paris à emprunter une voie diplomatique dans l’espoir de le libérer. Le journaliste français paie ainsi les pots cassés d’une relation franco-algérienne calamiteuse, dont Boualem Sansal, l’écrivain et essayiste franco-algérien a lui aussi fait les frais, accusé de la même manière d’«apologie du terrorisme» pour avoir rappelé les droits historiques du Maroc sur le Sahara oriental. On l’aura compris, le régime d’Abdelmadjid Tebboune accuse de terrorisme toute personne ne marchant pas dans les clous et n’épousant pas le discours officiel de la junte. «En Algérie, sous Tebboune, on arrête des journalistes ou des intellectuels parce qu’ils n’épousent pas les thèses officielles et les récits élaborés par un pouvoir qui a fait de la falsification de l’histoire mais aussi de la rente mémorielle une ligne de conduite», rappelait gravement Mohamed Sifaoui dans une vidéo publiée sur sa chaîne YouTube le 27 novembre, et dans laquelle il révélait que le dictateur algérien souffrait de démence sénile.
Un diagnostic d’autant plus inquiétant qu’il pèse de tout son poids sur le sort de Christophe Gleizes. En effet, rappelait Sifaoui, «ceux qui connaissent le régime algérien savent que la décision sera prise dans le bureau de Tebboune et transmise au juge par son directeur de cabinet, Boualem Boualem». Ainsi, entrevoyait-il, «au travers de cette décision politique maquillée en décision de justice, le régime algérien enverra un message aux autorités françaises».
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Si l’on en croit le raisonnement de Sifaoui qui voyait se profiler trois hypothèses, c’est le pire scénario qui est actuellement en train de se produire. Car au lieu d’une libération immédiate ou d’une peine plus courte, la troisième hypothèse du journaliste s’est concrétisée aujourd’hui. «Si la condamnation du journaliste est confirmée, voire aggravée en appel, c’est que le régime de Tebboune veut repartir vers l’escalade» avec la France, estimait ainsi Mohamed Sifaoui.
Les nombreuses interviews accordées par Boualem Sansal dans la presse hexagonale depuis son retour en France n’ont certainement pas mis dans de meilleures dispositions le régime de Tebboune, d’autant que l’écrivain de 80 ans n’est pas revenu sur ses propos relatifs à la marocanité historique du Sahara oriental. Des propos qui ont entraîné, dans un geste aussi colérique que puéril, la «désactivation» de son passeport algérien. Il se voit ainsi privé de retourner chez lui tant il est convenu qu’une demande de visa émise via son passeport français n’aura aucune chance d’aboutir.
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«Une voie étroite reste toutefois ouverte» pour Christophe Gleizes, estime le journal Le Monde, dans le cas d’une mesure de grâce que pourrait accorder le président algérien, Abdelmadjid Tebboune. «Celle-ci n’interviendrait qu’après la condamnation définitive du reporter, qui peut encore se pourvoir en cassation», explique-t-on.
Mais qui pour raisonner Abdelmadjid Tebboune, lequel n’a consenti à relâcher son premier otage que grâce à une médiation du président allemand, Frank-Walter Steinmeier? Car de l’avis même de Boualem Sansal, «si ça avait été la France, les Algériens n’auraient pas accepté. Ça aurait été interprété par eux comme une défaite terrible». Qui sauvera Christophe Gleizes? C’est la question qui se pose aujourd’hui plus que jamais.






