Russie-Algérie, les raisons de la rupture

Bernard Lugan.

ChroniqueLa lente rupture entre Alger et Moscou à laquelle nous assistons aujourd’hui a débuté en 2021 à la suite de deux grandes erreurs ou imprudences diplomatiques algériennes.

Le 21/10/2025 à 11h01

La rupture entre les deux alliés historiques que sont la Russie et l’Algérie semble proche. Or, depuis son indépendance, l’Algérie avait été alignée sur les positions, hier de l’URSS, puis sur celles de la Fédération de Russie qui lui fournit l’essentiel de ses équipements militaires.

La lente rupture entre Alger et Moscou à laquelle nous assistons aujourd’hui a débuté en 2021 à la suite de deux grandes erreurs ou imprudences diplomatiques algériennes.

1-La première date du mois d’avril 2021 quand l’Algérie refusa d’ouvrir son port de Mers el-Kébir à la flotte russe en route pour la Syrie, et qui avait demandé de pouvoir s’y ravitailler. Le moins que l’on puisse dire est que, même si aucun communiqué officiel ne le montra alors, la Russie prit très mal ce qu’elle considérait comme la trahison de son principal allié dans la région. À partir de ce moment, Moscou comprit que l’Algérie n’était pas un partenaire fiable. Et comme la marine russe avait besoin d’un point d’appui en Méditerranée, et parce qu’elle ne voulait pas dépendre uniquement de Tartous en Syrie, la Russie commença alors à s’intéresser au port en eau profonde de Tobrouk en Cyrénaïque. Or, l’homme fort de cette partie de la Libye, le général Haftar, était un allié de Moscou...

Or encore, le général Haftar avait un grave contentieux avec l’Algérie qui soutenait le régime rival de Tripoli. D’autant plus qu’Alger agissait sur les Touareg libyens afin d’empêcher le général de prendre le contrôle de la partie occidentale du Fezzan, la partie orientale étant peuplée par les Toubou et par des tribus arabes. En arrière-plan de ce contentieux se posait le non-dit territorial faisant que la partie la plus occidentale du Fezzan, une zone riche en hydrocarbures, est en réalité un territoire libyen jadis rattaché à l’Algérie française, et dont hérita automatiquement l’Algérie indépendante.

«La dernière étape de la redéfinition de la géopolitique régionale pourrait être la reconnaissance par Moscou du plan marocain d’autonomie pour le Sahara occidental. »

2-La seconde date du début de l’été 2021, quand, soutenues par la Russie, les forces du général Haftar avançaient vers Tripoli. Au mois de juin 2021, paniqué à l’idée de voir la Tripolitaine passer sous le contrôle du général Haftar, le président Tebboune commit alors une grande erreur diplomatique en affirmant que l’Algérie était prête à intervenir en Libye pour stopper l’avancée de l’allié de la Russie... La rupture était donc actée.

Ayant compris qu’il avait scié la branche sur laquelle son pouvoir était assis, afin de tenter de rétablir la confiance entre les deux pays, au mois de juin 2023, le président Tebboune effectua une visite d’État à Moscou. Ayant été reçu par le président Poutine, la presse algérienne n’eut pas de superlatifs assez forts pour saluer le retour de «l’amitié traditionnelle» entre les deux pays. Mais, deux mois plus tard, la Russie qui n’avait rien oublié s’opposa à l’entrée de l’Algérie au sein des BRICS. Impitoyable, Serge Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères, déclara le 24 août 2023: «Nous agrandissions nos rangs avec ceux qui partagent notre vision commune». Dont acte!

Mais, pour encore aggraver la rupture actuellement en marche, au dossier libyen est venue s’ajouter la question du Mali, où les intérêts de l’Algérie et de la Russie sont frontalement opposés. Moscou soutient en effet le régime malien qui est en lutte à la fois contre les Touareg et contre les groupes armés terroristes. En face, Alger a une constante politique qui est d’appuyer toutes les revendications régionales permettant d’affaiblir ses voisins afin de ne pas être elle-même touchée par ses propres problèmes ethniques. Je m’explique. Le Sahara, qui n’a jamais été algérien puisque l’Algérie est une création coloniale française, abrite les Touareg. Or, ces derniers vivant majoritairement en Algérie, tous les problèmes qui se posent chez leurs cousins de Libye, du Mali ou du Niger ont naturellement des prolongements en Algérie. Voilà pourquoi, afin de garantir la paix chez ses propres Touareg, Alger entend exercer une «suzeraineté» chez ceux des pays voisins… Résultat, les intérêts régionaux de la Russie et de l’Algérie se télescopent.

La conséquence de cette rupture progressive entre la Russie et l’Algérie est que Moscou se démarque de plus en plus des positions algériennes. Notamment au sujet du tabou de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation, ce qu’Alger ressent comme une provocation. Pour mémoire, c’est pour avoir déclaré au magazine Frontières que «Quand la France a colonisé l’Algérie, toute la partie ouest de l’Algérie faisait partie du Maroc: Tlemcen, Oran et même jusqu’à Mascara. Toute cette région faisait partie du royaume du Maroc», que Boualem Sansal a été jeté en prison en Algérie. Or, historiquement Sansal a raison, car la France créa l’Algérie en unifiant des territoires qui n’avaient jamais constitué un ensemble politique, et en lui rattachant les provinces marocaines du Touat, de la Saoura, du Tidikelt et du Gourara, ainsi que les agglomérations de Tindouf et de Béchar, l’«Orient marocain» en un mot.

La dernière étape de la totale redéfinition de la géopolitique régionale qui semble en marche, pourrait être la reconnaissance par Moscou du plan marocain d’autonomie pour le Sahara occidental. La rupture avec Alger serait alors totale et officielle.

En face, incapable de réagir, réduit à l’impuissance, le «Système» algérien se meurt de l’intérieur, écrasé par ses propres contradictions et ruiné par les prévarications de sa nomenklatura. Une agonie qui a des conséquences internationales et qui provoque l’isolement de l’Algérie, ainsi que sa marginalisation sur la scène internationale.

Par Bernard Lugan
Le 21/10/2025 à 11h01