Le jusqu’au-boutisme israélien est clairement assumé, comme en témoigne la déclaration d’Eli Cohen, le chef de la diplomatie israélienne, pour qui la guerre contre le Hamas dans la bande de Gaza «se poursuivra avec ou sans soutien international». Autrement dit, l’épuration ethnique ira jusqu’à son terme, car, comme je l’ai étayé dans une précédente chronique, la directive Dahiya fait que tout Palestinien, homme ou femme, adulte ou enfant, peut être considéré comme une cible militaire légitime, dès lors qu’il ou elle se trouve à proximité d’un combattant du Hamas. Par conséquent, détruire le Hamas revient également à détruire tous les civils palestiniens qui auront le malheur de se trouver à côté. Là, les pertes civiles pourraient se compter non plus en dizaines de milliers, mais en centaines de milliers.
Nétanyahou ira-t-il jusqu’au bout de cette démence? Beaucoup d’éléments nous portent à croire que oui. Même si beaucoup d’Israéliens sont loin de partager cette folie meurtrière. Mais le fait est que ce à quoi nous assistons depuis le 7 octobre n’est ni plus ni moins qu’un coup d’État réalisé à Tel-Aviv par l’extrême droite suprémaciste et racialiste. Un coup d’État qui a, au fond, graduellement commencé à se mettre en marche dès juillet dernier, date à laquelle la Knesset a adopté l’une des dispositions les plus controversées du texte de la réforme judiciaire proposée par le gouvernement Nétanyahou. Cette mesure permet littéralement de supprimer la possibilité pour les magistrats d’annuler des décisions gouvernementales qu’ils jugeraient déraisonnables. Car rappelons-le, Israël ne possède pas de Constitution.
Désormais, grâce au climat de terreur instauré par l’État profond israélien depuis le 7 octobre dernier, la majorité des Israéliens opposés à Nétanyahou n’osent plus s’exprimer publiquement, au risque d’être désignés comme des traîtres. Même si une certaine presse continue de critiquer avec virulence la gestion de cette crise par le pouvoir, à l’instar de Haaretz.
Autre crainte de l’exécutif: une rébellion ou une désobéissance en masse de l’armée. Car, selon les informations fournies dans un article de Haaretz, Nétanyahou aurait été au courant, un mois à l’avance, de la préparation d’une opération militaire du Hamas. Mais rien n’a été entrepris pour l’empêcher ou la contenir. Ce qui conforte l’hypothèse qu’il était non seulement au courant, mais qu’il souhaitait également cette attaque pour avoir son casus belli.
Résultat: 444 soldats israéliens tués durant la journée du 7 octobre, selon un communiqué de l’armée. De quoi créer un sentiment de colère légitime dans les rangs de Tsahal, qui pourrait se sentir trahie par son propre Premier ministre.
Comment y échapper? Occuper l’armée par une guerre interminable en désignant un ennemi difficilement prenable.
Revenons maintenant aux autres éléments qui laissent entrevoir la possibilité d’une guerre prolongée.
Premièrement, l’un des invariants stratégiques d’Israël est la nécessité vitale de se forger une profondeur stratégique. Car Israël n’en a tout simplement pas. Sa superficie est de 22.145 km2, soit à peu près deux fois plus petite que celle de la région de Béni Mellal-Khénifra. Donc, avec une largeur maximale de 110 km et une longueur de 420 km, le territoire peut être intégralement traversé en voiture en un peu plus d’une heure de l’ouest vers l’est et en 4 heures environ du nord vers le sud.
La profondeur stratégique est la distance qui sépare hypothétiquement la ligne de front du cœur économique et démographique du pays. Autrement dit, le territoire qu’un État peut perdre tout en gardant son potentiel démographique, économique et militaire. Et il apparaît évident, d’après les données citées ci-dessus, qu’Israël est structurellement prenable et assez rapidement.
Par conséquent, l’acquisition d’une profondeur stratégique par un accroissement ininterrompu de son territoire n’est pas simplement un objectif, mais un impératif stratégique.
Autre élément: la nécessité d’une simplification du front. En effet, dans la configuration territoriale actuelle, Israël et son armée sont obligés de composer avec une multiplicité de fronts, dont certains sont actifs et d’autres latents. Ce qui contribue à réduire sa capacité de concentration des troupes sur un seul front.
- Au nord, le front toujours actif avec le Sud-Liban, contrôlé par le Hezbollah.
- Au nord-est, le plateau du Golan syrien, occupé illégalement par Israël.
- À l’ouest, la Cisjordanie qui, du fait de la politique active et agressive de colonisation, est une bombe à retardement.
- Au sud, au niveau du désert du Néguev, la frontière avec l’Égypte demeure potentiellement dangereuse, en cas de coup d’État ou d’une déstabilisation de ce pays.
- Enfin, au sud-est, la bande de Gaza, qui constitue en quelque sorte un front actif au cœur même d’Israël.
Ainsi, annexer la bande de Gaza à travers un déplacement forcé de population, permettrait à Israël de redéployer son potentiel militaire mobilisé autour de la bande, pour le redéployer soit au nord face au Hezbollah, soit à l’ouest en Cisjordanie.
Combinées, toutes ces raisons laissent fortement entrevoir la possibilité d’une guerre jusqu’au-boutiste dans la bande de Gaza, où l’un des deux protagonistes devra nécessairement périr. Soit le Hamas, soit Nétanyahou. Car les deux ont tout à perdre, mais aussi tout à gagner.
Dans cette perspective, l’issue la moins sanglante à la situation actuelle serait une implosion du gouvernement Nétanyahou. Soit par la réactivation de la dialectique interne à Israël à travers des manifestations massives dans les rues, soit par une révolte de l’armée, soit par une motion de censure qui se devra d’être soutenue par au moins 61 députés de la Knesset.
Car si l’armée israélienne ne peut techniquement pas perdre cette guerre en raison du soutien inconditionnel des États-Unis et de sa supériorité technique et militaire, Nétanyahou peut, quant à lui, aisément la perdre.
Cela demeure le scénario le plus souhaitable et le moins sanglant pour mettre fin à ce massacre sans nom dans la bande de Gaza, et permettre aux Israéliens de revoir en profondeur le danger que représente l’idéologie suprémaciste et racialiste actuellement au pouvoir dans leur pays. Un danger autant pour les Israéliens que pour tous les juifs de par le monde, comme l’affirme à juste titre Rony Brauman.