La France se retrouve ainsi confrontée à un problème de taille, le manque de carrés musulmans dans les cimetières. Il y a quelques jours, huit députés ont ainsi envoyé un courrier au ministère de l’Intérieur alertant de ce manque dans les cimetières communaux.
Toutefois, si beaucoup de musulmans considèrent comme un réel problème le fait de ne pas pouvoir enterrer leurs proches dans un carré musulman, en France, des voix s’élèvent contre la séparation des morts dans les cimetières.
C’est ainsi le cas de la journaliste Isabelle de Gaulmyn, rédactrice en chef du quotidien catholique La Croix, et qui sur la radio RCF (Radio catholique française) a fait part de son point de vue, en s’interrogeant sur le bien-fondé des carrés musulmans dans les cimetières communaux.
"Que les Français de confession musulmane puissent aujourd’hui être enterrés en France est certainement une bonne chose. C’est là que se trouve leur famille désormais, et cela ne peut que renforcer le sentiment d’appartenance nationale", souligne Isabelle de Gaulmyn dans un très beau plaidoyer pour le vivre-ensemble.
Une thèse que soutient également le sociologue Yassine Chaïb dans son livre "L’émigré et la mort" (Edisud) et dans lequel il écrit: "le choix en faveur du pays d'immigration, lorsqu'il est volontaire, est souvent le signe d'une volonté d'enracinement sur un nouveau territoire, du désir de créer une nouvelle continuité par sa descendance (…) L'islam comme religion en France ne sera véritablement implanté et enraciné sur son sol qu'à partir du moment où les immigrés de confession musulmane y éliront leur dernière demeure deux pieds sous terre."
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La Vaticaniste en profite pour dénoncer au passage le fructueux business des entreprises spécialisées dans les convois funèbres et voit ainsi dans la situation actuelle une manière de "mettre fin à un trafic assez juteux pour des entreprises spécialisées dans ces convois funèbres, d’autant plus lucratif pour certains opérateurs privés que le nombre d’immigrés d’origine musulmane dans les pays d’Europe a particulièrement augmenté à partir des années 1980". Pour mettre à fin à ces pratiques, il s’agit donc, selon elle, de permettre ces regroupements de sépultures musulmanes dans les cimetières.
Enfin, Isabelle de Gaulmyn, également biographe et auteur de plusieurs ouvrages sur l’histoire de l’Eglise, examine cette interrogation actuelle qui porte sur le bien-fondé des carrés musulmans à la lumière de l’histoire. "Il ne faut pas se cacher ce que signifient ces «carrés» séparés du reste des tombes", prévient-elle ainsi en rappelant qu’en France, il fut un temps où les protestants étaient interdits de cimetière suite à la révocation de l’Édit de Nantes, en 1685.
"Pendant longtemps ensuite, dans les cimetières paroissiaux, les non-catholiques étaient mis dans des lieux délimités comme en dehors de la communauté des morts: des endroits réservés aux réprouvés, aux bébés morts sans baptême, aux juifs, aux protestants", poursuit-elle en rappelant que ce n’est qu’en 1904 que les cimetières paroissiaux sont devenus communaux, permettant ainsi le mélange des religions.
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Pour elle, si les carrés musulmans répondent à l’urgence de pouvoir enterrer ses proches, il conviendrait toutefois d’éviter de "recréer des murs". En effet, "rien n’empêche un musulman de se faire enterrer selon son rite religieux, et orienté vers l’est, comme le demande le Coran, tout en restant au milieu des Français d’autres religions".
Par ailleurs, d’un point de vue religieux, rappelons que rien ne s'oppose à un enterrement en France. Ainsi, comme le rappelle le journal Le Monde dédié à un précédent article consacré à ce sujet, "les cimetières sont des espaces laïques. La loi du 14 novembre 1881 interdit au maire d'opérer des regroupements de tombes par confession religieuse qui seraient séparés du reste du cimetière par une clôture matérielle, tels que mur ou haie". La séparation est donc demandée par certains religieux, rappelle le journal, qui ne voient pas d'un bon oeil ce compromis.
Toutefois, une interprétation plus large a été donnée à cette loi grâce à deux circulaires du ministère de l’Intérieur datant du 28 novembre 1975 et du 14 février 1991. Celles-ci soulignent ainsi que les maires "peuvent autoriser des regroupements de fait".
"Il est donc possible de créer des carrés pour les confessions religieuses qui en font la demande, c'est-à-dire essentiellement les musulmans et les juifs. Cependant, les circulaires soulignent qu'il n'appartient pas au maire de vérifier la confession du défunt. Seules comptent les dernières volontés qu'il a exprimées ou la demande de la famille. En théorie, un chrétien peut donc se faire enterrer, s'il le désire, dans un carré juif ou musulman. Le maire ne peut s'y opposer", explique à ce sujet Le Monde.