Un Premier ministre qui présente ses plus plates excuses au peuple algérien à l’Assemblée populaire nationale (le parlement algérien). Un ministre de la Justice et Garde des Sceaux qui parle, à la télévision algérienne, d’un acte organisé, d'un complot même, visant la déstabilisation directe de l’Etat. Des citoyens qui s'entassent, dès les premières heures du matin, pour faire la queue dans ce qui ressemble à une mobilisation générale... En Algérie, rien ne va plus. Un coup d’Etat? L'attaque d’un pays ennemi? Un drame national ou une ravageuse catastrophe naturelle? Rien de tel et loin s’en faut. En Algérie, le soulèvement national en cours, qui mobilise tant les forces vives de la nation, est lié à… une pénurie en huile de table. Entre autres produits alimentaires de première nécessité, comme la semoule, ou le lait en poudre, qui manquent affreusement au pays, qualifié par Tebboune de «force de frappe».
Parcourir les journaux et sites d’information algériens ces jours-ci, c’est croire à une vanne ou une quelconque plaisanterie, que les rédactions du voisin de l’Est ont décidé de faire circuler. Le sujet est pourtant extrêmement sérieux.
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Le jeudi 6 octobre dernier, Aïmene Benabderrahmane, Premier ministre de son état, s’est présenté devant l’Assemblée populaire nationale. Non pour proposer une solution radicale et définitive aux pénuries récurrentes de produits alimentaires de première nécessité. Encore moins pour annoncer une révolution agro-industrielle, à même de prémunir le pays de scénarios qu’on ne voit plus qu’au Venezuela. Ce jour-là, Aïmene Benabderrahmane est venu demander pardon au peuple d'Algérie: «je présente mes excuses à tout père ou mère de famille qui a trouvé des difficultés à se procurer des produits de large consommation», a-t-il déclaré, ému aux larmes et ayant du mal à se contenir, avant de promettre une vague lutte contre «la spéculation», qui est, a-t-il assuré, la mère de tous les maux en Algérie.
Ministre de la Justice au titre pompeux de Garde des Sceaux, Abderrachid Tabi parle, lui, d’un «acte organisé visant la déstabilisation directe de l’Etat».
Ces «crimes organisés» sont «commis par des groupes qui veulent déstabiliser la société et les institutions de l’Etat en alimentant le désespoir chez les citoyens et en frappant directement leur pouvoir d’achat», a-t-il déclaré le 7 octobre dernier à la télévision algérienne. On retiendra que, là encore, M. le Ministre en est toujours au stade du constat et qu’en dehors d’une intention de sévir contre «la spéculation illicite», aucune mesure concrète de soutien aux Algériens n'a été proposée.
La faute à qui, en définitive? Au consommateur algérien, naturellement, jugé «excessif» par ceux-là même qui sont censés subvenir à ses besoins les plus élémentaires. Et un complot ourdi par on ne sait qui, cette fois-ci. Après le complot makhzéno-sioniste qui menace la sécurité nationale algérienne, le plan diabolique des feux de forêt en Kabylie et ailleurs, la conspiration machiavélique des opposants et journalistes algériens actifs sur les réseaux sociaux depuis l’Europe, la nouvelle menace visant «la déstabilisation directe de l’Etat» est toute trouvée: le manque d’huile de table.
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On ne sait pas s’il faut grossir le rang des pleurnicheurs en Algérie en versant quelques larmes sur la détresse des Algériens ou s’il faut, au contraire, en rire. Tebboune veut à tout prix réduire la facture des importations et se vanter de renverser la tendance baissière des réserves en devises. Sauf que dans un pays qui ne vit que de la rente des hydrocarbures et qui importe tout, y compris des ouvriers de Chine pour construire des mosquées et des autoroutes, si l’on réduit la facture des importations de denrées alimentaires, on affame le peuple.
Visiblement tremblant de peur à la perspective de manifestations massives contre la faim, et ce, à la veille du sommet de la Ligue arabe, la junte a entrepris des mesures dans la précipitation, dimanche dernier, pour ouvrir de nouveau le robinet des importations. Ces mesures n’ont pas encore normalisé l’huile de table en Algérie.
En attendant, les files d’attente devant les commerces se multiplient un peu partout dans le pays. Et si les Algériens se lèvent de plus en plus tôt, ce n’est guère pour vaquer à leurs occupations ou construire leur pays, mais pour aller se chercher un bidon d’huile de table qui vaut, au sens propre, son pesant d’or.