Hongrie, Pologne, Italie, Slovaquie et, plus récemment, Pays-Bas... La déferlante électorale des extrêmes droites semble irrésistible sur le Vieux Continent. Même la Suède et la Finlande semblent subir cette dynamique pour beaucoup alarmante.
Mais comme nous l’a appris le grand Spinoza, il ne faut ni rire ni pleurer, mais comprendre.
Car, l’une des erreurs méthodologiques majeures, et qui peut s’avérer fatale pour tout analyste politique, serait de confondre le mal et le symptôme, la cause et l’effet.
Bossuet a dit, à ce propos, que «Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes».
Car au fond, de quoi la montée des extrêmes droites est-elle le nom? S’agit-il d’une poussée fiévreuse et irrationnelle de peuples ayant perdu tout repère? Est-il question d’un racisme latent qui, désormais, ose s’affirmer de manière de plus en plus décomplexée? Ou encore, peut-on parler d’une ingérence de la Russie puisque c’est à la mode actuellement?
Laissons ces analyses bancales et paresseuses aux commentateurs politiques qui peuplent les plateaux TV français et revenons aux fondamentaux, c’est-à-dire aux causes profondes et structurelles. À travers cette chronique, on en abordera qu’une seule, à savoir le rôle paradoxal de l’Union européenne (UE) dans la déligitimation des élites politiques classiques, qu’elles soient de gauche ou de droite.
D’un côté, l’UE a été fondée autour du principe de subsidiarité. Pour le définir simplement, il s’agit d’un principe juridique selon lequel ce qui peut être décidé à l’échelle locale ne doit pas relever d’une échelle supérieure dans la hiérarchie du pouvoir. Autrement dit, un niveau d’autorité politique donné ne peut effectuer que les tâches ou les missions qui ne peuvent être réalisées au niveau des échelles inférieures, et inversement. C’est-à-dire que ce qui peut être décidé à une échelle communale n’a pas à être décidé à une échelle provinciale, régionale ou nationale. Et ce qui ne peut être décidé qu’à une échelle nationale ne peut pas relever des prérogatives de la province ou de la commune.
Ce principe, qui figure dans le très contesté Traité de Maastricht, fait que quasiment tous les leviers de souveraineté, à savoir la monnaie, le contrôle des frontières ou encore le législatif, relèvent de l’Union européenne. Car, les monnaies ne sont plus nationales du fait de l’euro, les frontières ne peuvent plus être effectivement contrôlées par l’État à l’intérieur de l’espace Schengen depuis l’entrée en vigueur du Traité d’Amsterdam en 1999, et les lois votées au Parlement européen ont la prééminence sur les lois votées à l’échelle nationale, conformément au principe de la pyramide de Kelsen.
Que reste-t-il à l’État sur le plan de la souveraineté? La politique budgétaire et la politique extérieure.
Mais là encore, la politique budgétaire des États membres de l’UE est encadrée par des traités et des conventions européennes à l’instar des critères de convergence budgétaire qui limitent le déficit budgétaire des États à 3% du PIB et la dette publique à 60%. Deux contraintes allègrement violées par bon nombre d’États, mais qui n’en demeurent pas moins des contraintes avec lesquelles il faut composer.
Quant à la politique extérieure, il est vrai que les États de l’UE ont toute latitude pour mener la politique extérieure qui leur semble la plus adéquate selon leurs intérêts nationaux. Mais le fait est que mis à part l’Autriche, l’Irlande, Chypre et Malte, soit des broutilles sur le plan géopolitique, tous les autres États membres de l’UE sont également membres de l’OTAN. Ce qui restreint de fait leur autonomie stratégique.
Résultat des courses: peu importe qui arrive au pouvoir dans les États européens et peu importe la dimension vertueuse du programme politique du parti vainqueur, il n’aura quasiment aucun des leviers effectifs de souveraineté, pour tenir ses promesses électorales. Pas de souveraineté monétaire, ni législative, ni budgétaire, ni encore géopolitique. La seule mission des pouvoirs exécutifs c’est la gestion des affaires courantes. De quoi peut-être inventer un nouveau concept, celui de «politique contemplative».
Il en résulte tout naturellement une perte de légitimité de toutes les élites politiques qui s’aventurent à diriger leurs pays, laquelle est de ce point de vue irrémédiable. En même temps, ces mêmes élites ne peuvent aucunement imputer leur impuissance à l’UE, du fait du dogme libéral qui régit toute la structure mentale du système. Car oui, il s’agit de dogmes et d’un rapport quasi religieux à l’idéologie européiste. Souvenons-nous du «Non» qu’il l’a remporté en France lors du référendum au sujet du Traité de Maastricht. Qu’à fait le pouvoir? Il a contourné la volonté populaire en faisant passer ce traité par un vote du Parlement sous un nouveau nom: le Traité de Lisbonne.
Qu’à fait l’UE lors de la crise de l’euro et des dettes souveraines européennes en juillet 2012? Mario Draghi, président à l’époque de la Banque centrale européenne (BCE), avait affirmé de manière lapidaire qu’il allait sauver l’euro «wathever it takes», soit «quoi qu’il en coûte». C’est-à-dire qu’il était prêt à sacrifier le pouvoir d’achat des Européens sur l’autel du Saint-Euro.
Dans un État normal, la monnaie est au service de l’économie. Au sein de l’UE, c’est le contraire qui est de mise. C’est l’économie et le niveau de vie des citoyens qui sont au service de la monnaie.
Ainsi, la montée de l’extrême droite ne met pas en danger l’UE, mais c’est l’UE qui met en danger les peuples européens en les enfermant dans un carcan idéologique qui les prive de toutes les fonctions régaliennes qui, théoriquement, leur reviennent.
De ce fait, les extrêmes droites semblent, en même temps qu’elles vouent l’UE aux gémonies, rendre grâce à Dieu de son existence qui non seulement transforme la réalité politique et socio-économique en leur faveur, mais constitue surtout l’une de leurs principales raisons d’être.