Créée en 1997, la fonction de Haut Représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune fut personnifiée deux ans plus tard par un premier «HR» débarquant directement -tout un symbole- du poste de secrétaire général de l’OTAN, Javier Solana. À cette époque, la diplomatie européenne était encore un duo -partagé avec un Commissaire aux relations extérieures- auquel a mis fin le Traité de Lisbonne, en 2009, lequel a élargi le mandat du Haut Représentant, incluant la présidence du Conseil Affaires étrangères et la fonction de vice-président de la Commission.
À nouvelles fonctions, nouvelle organisation administrative, avec le Service européen pour l’action extérieure dont le «HR» désigne les membres et contrôle le budget. Le Haut Représentant est responsable de plus de 140 délégations de l’UE, à la tête desquelles l’Europe nomme un «ambassadeur», et il effectue quelques nominations, dont celle du coordinateur antiterroriste. Il préside le Conseil Affaires étrangères, mais ses propres initiatives restent under control, toutes les décisions de politique étrangère restant de la compétence des États membres. Ce sont d’ailleurs eux qui le nomment, au sein du Conseil européen, statuant à la majorité qualifiée en accord avec le Président de la Commission européenne. Il est renouvelé à chaque début de mandature dans la foulée de l’élection des eurodéputés, et choisi, comme les autres Top Jobs, dans un savant équilibre (droite/gauche, homme/femme, Nord/Sud) et entre-soi.
Tout était écrit avant les élections: présidence de la Commission européenne pour la droite allemande, présidence du Conseil aux socialistes portugais et, donc, le poste de Haut Représentant à Kaja Kallas, libérale estonienne. Sauf que Giorgia Meloni, forte de ses 24 élus (sur 76 députés italiens), leader d’un groupe ECR qui pourrait bien revendiquer la troisième place du Parlement à l’issue du Mercato, s’émeut aujourd’hui d’être exclue de négociations qui font la part belle à Renew (la même semaine, les Libéraux se voient également gratifiés du poste de SG de l’OTAN) et pour manifester son mécontentement, bloque la candidature de Kallas. Ce n’est pas le profil de la Première ministre d’Estonie que conteste Meloni -rien à voir avec le procès en incompétence d’une Lady Ashton, parachutée chef de la diplomatie européenne en 2009- ni son engagement sur le front de l’Est -le groupe ECR vient de refuser l’adhésion de la nombreuse délégation Fidesz pour son tropisme pro-russe.
Mais la Première ministre Fratelli d’Italia saisit dans cette première séquence post-électorale de belles opportunités. D’abord montrer que les résultats du vote ne seront pas sans conséquence sur la vie du Parlement. Ensuite, rappeler que la politique de voisinage ne doit pas être exclusivement centrée sur l’Est. Enfin, confirmer que l’Italie entend bien poursuivre la politique migratoire initiée dans la précédente mandature, fondée sur la multiplication d’accords avec les pays tiers d’une Méditerranée dont il était de coutume que le Haut Représentant soit également issu: le sortant, le socialiste espagnol Josep Borrell, avait ainsi succédé à Federica Mogherini, du Parti démocrate italien.
Aucun nom ne circule cette fois -signe répété du glissement de l’UE à l’Est- comme alternative à la candidature balte d’une voix du Sud qui devienne celle de l’Europe. Quoi qu’il en soit, si le choix du chef de la diplomatie européenne disait les priorités de la politique étrangère des 27, ce dernier ne serait qu’un des acteurs d’un concert polyphonique. D’une part, car fluctuat nec mergitur… Von der Leyen devrait rempiler à la présidence de la Commission et, forte de ce double adoubement -États membres et eurodéputés-, pourquoi renoncerait-elle à la «Commission géopolitique» qu’elle a mené à sa guise durant les années 2019/2024, sans tenir compte des positions des États, mais sans que ceux-ci, in fine, ne lui en tiennent rigueur? D’autre part, parce que la politique étrangère reste une compétence des États membres et que l’agenda du quinquennat est déjà chargé de sujets (élargissement, négociations Ukraine-Russie, Proche-Orient, relations avec les États-Unis…) où il paraît utopique de penser que les chefs d’État et de gouvernement puissent parler d’une seule voix.
La suite, le 26 juin -où seront confirmés les Top Jobs- et surtout les mois qui suivront. Car à peine le Haut Représentant nommé, et son nom ajouté au répertoire du Secrétaire d’État américain, que ce sont les Européens qui s’inquiéteront à leur tour de savoir qui, sur la ligne Bruxelles-Washington, est au bout du téléphone!