De nombreuses vidéos circulent ces deux derniers jours sur les réseaux sociaux, faisant état de mouvements de contestation d’un nouveau genre initié par les retraités, blessés ou invalides de l’armée algérienne. Pour protester contre leur situation précaire, marquée par des pensions de misère, qui, de plus, sont irrégulièrement versées, voire carrément refusées, sans parler de l’absence de couverture sanitaire et d'autres privations de droits sociaux, les retraités de l’armée algérienne ont choisi de se diriger vers la frontière avec la Tunisie voisine pour tenter d’accéder à ce pays en vue, disent-ils, d’y «demander l’asile, non pas politique, mais alimentaire».
Dans les différentes vidéos qu’ils ont enregistrées en traversant monts et vaux vers la frontière tunisienne, ces anciens militaires, dont certains portent encore les stigmates et blessures de la guerre civile de la décennie noire des années 90, interpellent directement le général Chengriha, en tant que premier responsable de leur calvaire. Pour eux, le président Tebboune ne représente que lui-même, et doit d’ailleurs, disent-ils, «retourner en Turquie et rester à Istanbul», où il vient d’effectuer une rocambolesque visite officielle de trois jours (du 15 au 17 mai 2022).
L’on rappelle que le chef d’état-major de l’armée algérienne, le général Said Chengriha croyait bien avoir roulé dans la farine les retraités de l’armée algérienne en suspendant, avec des promesses, en mars 2021, leur grogne, qui dure depuis plus deux décennies. En effet, le 21 mars 2021, et pour mettre fin aux mouvements de protestations de milliers de retraités de l’armée, mouvements devenus récurrents depuis 2010, le général Chengriha a fait adopter en urgence par un Conseil des ministres, présidé par le chef de l’Etat, Abdelmadjid Tebboune, une nouvelle version amendée du Code des pensions militaires.
Selon un communiqué du ministère algérien de la Défense, repris le 26 mars 2021 par l’APS (agence officielle), ces amendements introduisent «des réaménagements juridiques pour la régularisation définitive des revendications exprimées par les personnels militaires radiés des rangs et invalides de l’armée nationale populaire (ANP), à travers de nouvelles mesures juridiques, sociales et financières.»
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L’objectif de ces amendements adoptés dans la précipitation visait en réalité à éviter que les retraités protestataires, malgré la violente répression qu’ils ont subie, ne viennent grossir les rangs du Hirak populaire, dont les manifestations hebdomadaires étaient encore actives dans les grandes villes algériennes.
Une année plus tard, et ne voyant qu’aucune amélioration de leur situation n’est intervenue depuis l’adoption du «code Chengriha des pensions militaires», les retraités de l’armée reviennent aujourd’hui à la charge.
Ne pouvant plus manifester aujourd’hui dans la rue, car de nouvelles lois liberticides, qui violent même la nouvelle Constitution algérienne de novembre 2021, ayant été adoptées entre-temps l’été dernier pour interdire toute manifestation sur la place publique, les retraités de l’armée algérienne ont choisi d’aller à la frontière tunisienne, toujours fermée à la circulation des personnes et non des marchandises, en vue d’accéder à ce pays et d'y demander l’asile alimentaire.
Malgré leur situation misérable, dans un pays gazier et pétrolier où l’armée à elle seule dispose d’un budget allant, bon an mal an, de 8 à 11 milliards de dollars, ces retraités laissés-pour-compte restent néanmoins mieux lotis que les centaines de leurs compatriotes harraga qui périssent par dizaines ces derniers jours en Méditerranée suite à des naufrages ou, le plus souvent, sous les tirs à balles réelles de la marine algérienne.