Le déballage inédit de Guermit Bounouira, l’ancien secrétaire général du défunt Ahmed Gaïd Salah, se poursuit donc, ce mardi 11 janvier 2022. Et il est riche en renseignements sur le mode de fonctionnement de la junte qui dirige le pays, et sur la manière dont le régionalisme en Algérie se substitue au mérite et à la compétence pour s’approcher des cercles du pouvoir.
On savait certes déjà que la Kabylie a toujours été le nerf névralgique du régionalisme identitaire en Algérie, mais avec ce grand déballage de Bounouira, on apprend que le régionalisme est exacerbé un peu partout dans ce vaste pays, et qu’il y constitue une véritable bombe à retardement.
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Dès sa prise de fonction en tant que chef d’état-major de l’armée algérienne, le général Saïd Chengriha a bâti tout un système basé, selon les propos de Guermit Bounouira, sur les intérêts mafieux (trafic de drogue, d’armes et de carburant), comme il l’a d'ailleurs démontré dans une première vidéo. Toutefois, le dispositif du chef de l’armée algérienne repose aussi sur un socle auquel les observateurs accordaient encore peu d’intérêt: le régionalisme.
En effet, dans un nouvel enregistrement, Guermit Bounouira démontre très clairement qu’en procédant à des changements sans précédent au sein du haut commandement de l’armée, Saïd Chengriha a surtout fait la part belle aux officiers originaires, comme lui, de la région orientale de l’Algérie.
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D’avril à août 2020, souvenez-vous, l'ensemble des directions relevant de l’état-major de l’armée et du ministère algérien de la Défense, qu’il s’agisse des services secrets ou autres directions techniques de l’armée, l’état-major de la gendarmerie, de l’armée de l’air… avaient été confiées à de nouveaux généraux.
Si, dans de nombreux cas, ce coup de balai dans le haut commandement de l’armée algérienne a été le fait d’une revanche de l’ancien général à la retraite, mais toujours actif, Mohamed Mediène, dit Toufik, le général Chengriha a lui aussi largement profité de ce vaste chamboulement pour placer à de hauts postes des officiers supérieurs originaires de l’Est algérien, tout particulièrement de la région des Aurès.
Ainsi, dans la liste des dernières promotions au sein de l’armée, on retrouve un nombre très important d’officiers chaouis, originaires de Batna, de Biskra, de Guelma… qui sont venus remplacer, le plus souvent, des officiers supérieurs natifs de Kabylie, une région jugée beaucoup trop rebelle, ou de l’ouest algérien, une région jugée proche du Maroc.
Bounouira cite ainsi plusieurs dizaines de noms de généraux qui ont été promus sur la seule base de leur appartenance à la même région que Saïd Chengriha.
Ainsi, et pour ne citer que les postes les plus importants, le général-major Houes Ziari, originaire de l’Est, a remplacé le général Ali Akroum, ancien patron du département organisation et logistique de l’état-major, originaire de Kabylie (et plus précisément de Boumerdès).
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Le général-major, Mohamed Salah Benbicha, originaire lui aussi de l’est algérien, a été nommé secrétaire général du ministère de la Défense général, en remplacement du général Abdelhamid Ghriss.
Autre poste stratégique livré par Chengriha à l’un des fils de sa région, celui du chef du Département des transmissions, systèmes d’information et guerre électronique du ministère de la Défense nationale algérienne, qui est revenu au général-major Farid Bedjghit (mort en novembre 2020), et qui a remplacé le général abdelkader Lachkhem.
Le général-major Mahmoud Laraba, un Constantinois, a été hissé aux fonctions de commandant des forces aériennes en remplacement du général-major Hamid Boumaïza, natif de Tizi-Ouzou en Kabylie.
Il faut aussi citer le cas exceptionnel de Mohamed Bouzit, dit Youcef, ancien chef des renseignements extérieurs, un «Gaïdiste» originaire de l’est, longtemps maintenu par le fils de son bled, Saïd Chengriha, avant d’être envoyé en prison par le général Toufik, en septembre dernier.
A l’écoute de ce nouveau déballage de Guermit Bounouira, une question se pose: mais que doivent en penser les Algériens en général, et les militaires en particulier, surtout ceux originaires des wilayas de l’Ouest, du sud, du centre du pays ou de la Kabylie?
Le déballage sans précédent de la «boîte noire» de Gaïd Salah a fait l’effet d’un séisme dans le régime algérien. Si les médias algériens ont observé un black-out total sur le sujet, preuve de l’embarras de la junte à établir une stratégie de riposte, sur les réseaux sociaux, les vidéos de Bounouira font fureur et ont même relégué au second plan tous les autres sujets qui faisaient jusqu'à présent l’actualité en Algérie.
Les vidéos fuitées de Bounouira mettent à nu la fragilité –pour ne pas dire l'effondrement– du système sécuritaire en Algérie. Comment cet homme, incarcéré dans le pénitencier de Blida, censé être le mieux surveillé du pays, a-t-il pu filmer et faire sortir ses enregistrements? De quelles complicités a-t-il bénéficié? Et à quel niveau dans l’armée algérienne? Qui le protège?
Nul doute que dans les tous prochains jours, une guerre clanique risque fort d'être orchestrée au plus haut niveau de l’appareil militaro-politique en Algérie.