L’ancienne «boîte noire» de Gaïd Salah vient de se rappeler aux souvenirs des généraux qui dirigent la junte. Et de quelle manière! Il inaugure, en ce lundi 10 janvier 2022, un déballage inédit sur les généraux de l’armée algérienne. Un déballage qui vaut son pesant d'or, car l’adjudant-chef Guermit Bounouira était le secrétaire-particulier de l’ancien vice-ministre de la Défense, et ex-chef d’état-major, le défunt général Ahmed Gaïd Salah. En sa qualité de secrétaire particulier de Gaïd Salah, Guermit Bououira était craint et choyé par les plus hauts gradés de l’armée algérienne. Et de fait, l'homme savait tous les dossiers estampillés «secret-défense», en plus d'avoir été crédité de l’écoute attentive de Gaïd Salah.
Mis à part les renseignements turcs, qui lui avaient soutiré une mine d’informations sur le régime politico-militaire algérien, au cours de sa fuite vers la Turquie de février 2020 à août 2020, personne n’a plus entendu parler Guermit Bounouira, dépositaire de tous les secrets de l’armée algérienne de par son poste sensible et stratégique de secrétaire et de confident de feu le général Gaïd Salah. Certains ont même cru que depuis son extradition vers Alger, puis son jugement expéditif et son incarcération à la prison militaire de Blida, l’omerta, et une liquidation physique allait effacer à jamais cette mine d’informations ultra-sensibles dont il était le détenteur.
C’est probablement pour s’éviter une élimination physique, pratique courante dans le pénitencier de Blida où de nombreux généraux ont été occis, qu’il a réussi à faire des enregistrements de vidéos et écrit des lettres, en vue de se protéger ou, en tout cas, de rendre publiques d’importantes informations pour la postérité.
Dans une première vidéo, parmi une série d’une vingtaine d’enregistrements, tombée entre les mains d'un opposant, l'ancien diplomate algérien Mohamed Larbi Zitout exilé au Royaume-Uni, on apprend que le trafic de drogue en Algérie est une économie florissante monopolisée par les seuls généraux de l’armée algérienne.
Ainsi, dans ce vaste trafic de drogue, particulièrement actif à la frontière algéro-marocaine, certains barons marocains traitaient avec des barons algériens, travaillant au nom de généraux de l’armée algérienne, avec à leur tête l’actuel homme fort de l’Algérie: le chef d’état-major de l’armée algérienne, Saïd Chengriha, d'ailleurs nommément cité par Guermit Bounouira.
L’actuel chef de l’armée algérienne aurait accumulé une fortune colossale, en sécurisant, alors qu’il commandait de 2004 à 2018 la troisième région militaire aux frontières avec le Maroc, des voies pour le trafic de drogue. Pour s’assurer de la réception et du tonnage de la drogue fournie, des caméras de surveillance lui permettaient même de visionner ses transactions en direct.
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Guermit Bounouira révèle aussi comment Saïd Chengriha a été nommé, en août 2018, commandant des forces terrestres, alors qu’il était promis à la prison. Ainsi, Chengriha, qui opérait dans la région du sud-ouest algérien, a demandé à Bounouira de l’aider en intercédant auprès de Gaïd Salah pour l’affecter à Alger, car ses maladies chroniques l’obligeaint à effectuer des allers-retours incessants à l’hôpital militaire de Aïn Naadja, aux dépens de sa «difficile mission dans le désert algérien».
Après avoir été nommé commandant des forces terrestres, Chengriha demande à Bounouira de le «blanchir» auprès de Gaïd Salah des informations l’impliquant dans un trafic d’armes avec la Libye et de carburant dans la région de Tamanrasset. Un trafic, a ajouté Bounouira, qui a pourtant permis à l’actuel chef de l’armée algérienne d’augmenter sa fortune, déjà considérable.
Cependant, malgré sa promotion en tant que commandant des forces terrestres, Gaïd Salah a fini par découvrir toutes les inavouables pratiques de Chengriha et était sur le point de l’envoyer en prison. Il attendait juste la fin de la présidentielle, alors prévue en décembre 2019, à laquelle Gaïd Salah n'a finalement pas survécu.
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Bounouira précise aussi, dans ce déballage en ligne et à grande échelle que les barons de la drogue travaillant au service de Saïd Chengriha lui convoyaient des armes à partir de la Libye, afin qu'elles soient ensuite exposées à la télévision publique pour servir d'alibi à de fausses affaires de terrorisme qui auraient été déjouées grâce à une prétendue vigilance de l’armée algérienne.
Grâce aux révélations de Bounouira, on comprend aussi pourquoi le général Yahia Ali Oulhadj a connu une ascension fulgurante ces deux dernières années, avant d’être propulsé chef d’état-major de la gendarmerie algérienne, depuis août dernier. Et pour cause, et alors qu’il n’était que colonel de la gendarmerie dans la région ouest, c’est lui qui avait été chargé par Chengriha de gérer pour lui, directement, ses parts soutirées du trafic de drogue.
En définitive, et en attendant la diffusion des autres enregistrements, on apprend de cette sortie-surprise de Guermit Bounouira, que le trafic de drogue à la frontière algéro-marocaine, et de cocaïne dans les ports algériens, a toujours été le fait de hauts gradés de l’armée, de la gendarmerie et de la police algériennes. A leur tête, Saïd Chengriha, personnellement impliqué dans le trafic de drogue, d'armes et du carburant.
Dernier fait, non moins croustillant: un document écrit de la main de Bounouira sera bientôt publié, comportant la liste exhaustive de l'ensemble des généraux algériens impliqués dans ce trafic de drogue.