L’écrivain Boualem Sansal incarcéré en Algérie: la chasse à l’intelligentsia dissidente est ouverte

Boualem Sansal, écrivain et essayiste algérien, auteur de "Le français, parlons-en!", aux éditions du Cerf.

Boualem Sansal, écrivain et essayiste d'origine algérienne.

Porté disparu depuis plusieurs jours après son arrivée en Algérie le 16 novembre, au départ de la France où il réside, l’écrivain Boualem Sansal, bête noire du régime, connu pour ses positions critiques à l’égard du pouvoir en place, a été incarcéré, apprend Le360 de source fiable.

Le 21/11/2024 à 15h23

À Paris où réside son épouse, l’inquiétude ne cesse de grandir dans l’entourage de Boualem Sansal. Disparu sans donner de nouvelles depuis son départ pour Alger, samedi dernier, le célèbre romancier et essayiste franco-algérien, âgé de 75 ans, aurait été arrêté dès son arrivée dans son pays natal, apprend Le360, confirmant les informations recueillies par plusieurs médias français.

Ainsi, révèle Le Figaro, «Boualem Sansal aurait décollé de Paris samedi dernier en compagnie d’un journaliste français ou franco-algérien dont l’identité n’est pas confirmée». Et le média français d’expliquer que «celui-ci n’aurait pas donné de nouvelle non plus depuis leur atterrissage», citant des sources qui affirment que les deux hommes «auraient été arrêtés à l’aéroport d’Alger et (que) leurs téléphones portables ne répondent plus, vraisemblablement débranchés».

Censuré en Algérie pour ses écrits critiques à l’endroit du régime en place, Boualem Sansal qui a obtenu récemment la nationalité française et réside principalement en France en raison des problèmes de santé de son épouse, continuait de se rendre régulièrement en Algérie, où il réside à Boumerdès, à 45 kilomètres d’Alger. Or, d’autres sources du journal Le Figaro annoncent par ailleurs que «sa maison à Boumerdès reste close, porte et volets fermés».

Le livre de trop de Boualem Sansal?

Jusqu’à présent, malgré la haine que nourrit à son égard le pouvoir en place, Boualem Sansal n’avait jamais fait l’objet d’une incarcération. Son dernier livre a-t-il ravivé la haine du pouvoir algérien à son égard? Cela ne fait aucun doute, car dans «Le Français, parlons-en!» (éditions du Cerf), l’écrivain et ancien haut fonctionnaire dans l’industrie en Algérie ne manque pas d’y évoquer son pays, dressant un parallèle entre la situation actuelle de la France et celle de l’Algérie avant la guerre civile des années 1990, dite décennie noire. Un pan de l’histoire du pays dont il est interdit de parler en Algérie sous peine d’emprisonnement.

Invité de l’émission française «Frontières», il y a un mois, à l’occasion de la sortie de son livre, l’essayiste n’avait pas mâché ses mots et soutenu fermement sa position habituelle, considérant que l’Algérie doit beaucoup à la France, et non l’inverse, et qualifiant de «pouvoir idéologique à la soviétique» le régime en place, lequel tire sa légitimité auprès du peuple en «s’inventant un ennemi». Au cours de ce même échange, l’écrivain avait longuement évoqué le Maroc, la plus vieille monarchie du monde, soulignait-il, avant d’aborder un autre sujet tabou en Algérie, celui des frontières. «Quand la France a colonisé l’Algérie, toute la partie ouest de l’Algérie faisait partie du Maroc: Tlemcen, Oran et même jusqu’à Mascara», insistait-il alors, provoquant assurément un séisme en Algérie où la marocanité du Sahara oriental à travers l’histoire est un autre sujet tabou.

Ces prises de position ont-elles pu causer son arrestation? Jean-François Colosimo, éditeur de son dernier livre, se dit «plus qu’inquiet», souligne à cet égard Le Figaro. À l’heure actuelle, il ne fait aucun doute qu’au pays des généraux, on ne supporte plus la moindre contestation, quitte à basculer franchement et officiellement dans la dictature. Faisant l’objet de vives critiques au sein même de sa population et de ses ressortissants à l’étranger, le régime au pouvoir semble désormais déterminé à mener une chasse sans merci à l’égard de tous ceux qui ne marchent pas au pas, à commencer par l’intelligentsia du pays, sa matière grise la plus précieuse.

Cheb Khaled, Kamel Daoud & Co… les voix de la dissidence

La chasse à l’homme a commencé il y a quelques semaines avec les poursuites judiciaires intentées contre Cheb Khaled par la justice algérienne pour sa présumée implication dans une rocambolesque affaire d’espionnage (sans surprise) au profit du Maroc. Révélée le 20 octobre par le journaliste Abdou Semmar, directeur du média Algériepart, lui aussi exilé de son pays en raison de ses positions critiques, cette pseudo affaire serait en réalité motivée par une chose bien précise, la haine du Maroc. En effet, poursuivait le journaliste d’investigation, la seule raison plausible à ces accusations farfelues est à chercher du côté de la nationalité marocaine que Cheb Khaled a acquise en 2013 par décret royal, chose qui lui a valu de s’attirer les foudres du régime algérien, et du président Tebboune, au point de devenir persona non grata dans son pays.

Autre victime de ce régime, l’écrivain Kamel Daoud, fraichement couronné du Prix Goncourt pour son dernier roman «Houris», édité aux éditions Gallimard. En s’attaquant à un sujet interdit en Algérie, la décennie noire, l’écrivain est victime depuis la publication de son livre de «violentes campagnes diffamatoires», révèle son éditeur, orchestrées depuis l’Algérie. Plutôt que de se féliciter de la nomination pour la première fois au Goncourt d’un auteur algérien, l’Algérie a préféré lancer des poursuites à son endroit. L’écrivain fait désormais l’objet de deux plaintes, l’une émanant d’une présumée victime du terrorisme qui l’a accusé, depuis un plateau télévisé en Algérie, d’avoir dévoilé son histoire dans le roman sans son autorisation, et la seconde émanant de l’Organisation nationale des victimes du terrorisme.

Des plaintes que Kamel Daoud, interdit de publication en Algérie, envisageait déjà, car dès la première page de son livre, celui-ci insérait en préambule l’article 46 de la charte pour la paix et la réconciliation nationale, laquelle stipule notamment qu’«est puni d’un emprisonnement de trois (3) ans à cinq (5) ans et d’une amende de 250.000 DA à 500.000 DA, quiconque qui, par ses déclarations, écrits ou tout autre acte, utilise ou instrumentalise les blessures de la tragédie nationale, pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire, fragiliser l’État, nuire à l’honorabilité de ses agents qui l’ont dignement servie, ou ternir l’image de l’Algérie sur le plan international».

Boualem Sansal, fervent soutien de Kamel Daoud, est-il tombé sous le coup de cette loi? Pour l’heure, annonce Le Figaro, «si l’écrivain est détenu par la Sûreté algérienne, comme ses proches le soupçonnent, l’Élysée et le Quai d’Orsay ne devraient pas manquer de demander des explications au gouvernement algérien».

Qui sera le prochain sur la liste? Peut-être bien le rappeur Lotfi Double Kanon, si toutefois celui-ci se risquait à fouler la terre de son sol natal sur lequel il ne réside plus faute de pouvoir s’y exprimer. Cette autre bête noire du régime d’Alger vient en effet de sortir un nouveau titre de Rap, «Ammi Tebboune», dans lequel il dénonce la mafia au pouvoir et crie la souffrance de la jeunesse. Manque de chance pour le régime en place, le titre est non seulement excellent, mais il fait sans surprise un carton sur YouTube avec plus de 4 millions de vues depuis sa sortie le 11 novembre sur la plateforme.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 21/11/2024 à 15h23