Le 5 juin dernier, en marge du Forum économique international de Saint-Pétersbourg, Vladimir Poutine aurait, dans le cadre d’une interview avec plusieurs agences de presse, proféré une menace, nous dit-on, à l’encontre des pays occidentaux en ces termes: «Si quelqu’un considère possible de fournir de telles armes dans la zone de combats pour frapper notre territoire (…), pourquoi n’aurions-nous pas le droit de fournir nos armes du même type dans des régions du monde où seront frappées les installations sensibles des pays qui agissent ainsi contre la Russie?»
Pourquoi «nous dit-on»? Car il est évident pour toute personne ayant un tant soit peu d’honnêteté qu’on ne peut considérer comme une menace ce qui relève d’une simple réponse symétrique. Mais peu importe. Ce détail, certes crucial dans l’absolu, n’a que peu d’incidence sur l’idée développée dans cette chronique.
La question qu’il faut nous poser est de savoir si le Maroc, dont le rapprochement stratégique avec Washington, fait qu’il est perçu par beaucoup comme un allié des États-Unis, ou du moins comme un partenaire stratégique, risque de faire partie de cette liste peu enviable de pays potentiellement ciblés par le Kremlin?
Mais revenons, pour plus de clarté, aux propos de Vladimir Poutine. Car il me paraît évident que les régions du monde où la Russie pourrait livrer des armes ne comprennent ni la Côte d’Azur ni l’Islande. Il est ici davantage question de pays d’Asie de l’Est, comme la Corée du Nord, avec laquelle la Russie vient de signer une alliance militaire, du Proche et Moyen-Orient (Iran, Syrie, Hezbollah, Houtis au Yémen…) et le Sahel, où, bien que menacée, la présence française demeure relativement importante. Et c’est là où les choses se corsent.
Car d’un côté, l’instabilité politique chronique, la corruption et la porosité des frontières dans cette région en font une plaque tournante et une passoire pour tout type de trafic, dont le trafic d’armes. Et il me semble évident qu’on n’a pas du tout envie de voir des missiles de type «Iskander» ou des drones de type «Lancet» tomber entre les mains d’un mouvement terroriste, comme celui du Polisario. Sans parler du fait que l’Algérie pourrait elle-même lui fournir ces armes, en prétendant n’y être pour rien et qu’elles ont été acquises par le Polisario sur le marché noir. Une manière de nuire doublement au Maroc: sur le plan militaire, en permettant au Polisario d’accéder à des armes avec une technologie avancée, et sur le plan diplomatique, en espérant créer des tensions entre Rabat et Moscou.
Car, sans la complicité d’Alger, et si l’on met de côté le trafic éventuel des armes russes au Sahel, il me paraît évident que le Maroc ne peut d’aucune manière figurer sur la liste de pays où il serait légitime pour la Russie -ou pour ses proxys- de cibler les installations stratégiques occidentales.
Et ce, pour plusieurs raisons.
La plus importante étant qu’à l’instar de tous les États arabes et musulmans, le Maroc, et ce malgré sa proximité tant géographique qu’économique avec l’Occident, a non seulement tenu bon face aux pressions des chancelleries occidentales, en n’appliquant aucune des sanctions économiques imposées à la Russie, mais il continue d’avoir une position équilibrée dont la seule finalité est d’encourager la paix. En témoignent les différents votes ou non-votes du Maroc à l’ONU concernant la Russie. Loin d’être confortable, la position du Maroc témoigne d’une seule chose: il s’agit d’un État souverain qui détermine sa politique étrangère non pas selon les desiderata des chancelleries occidentales, mais selon ses propres intérêts, dans le respect de la souveraineté des États et des nouveaux rapports de force qui se dessinent actuellement à l’échelle mondiale.
Mais, je ne peux m’empêcher de penser à la célèbre réponse donnée par Talleyrand à Metternich: «Si cela va sans le dire, cela ira encore mieux en le disant». Autrement dit, une veille stratégique sur ce dossier s’impose, et une communication plus étroite et directe avec nos partenaires russes me paraît indispensable pour éviter toute tension diplomatique entre Rabat et Moscou, tension qui n’est souhaitée ni par l’un, ni par l’autre.