Le grand rabbin de France indésirable au pays d’une junte volontiers antisémite

Au centre, Haïm Korsia, grand rabbin de France et Emmanuel Macron, président de la République française, le 29 octobre 2019 à Paris. . Ian LANGSDON / AFP

La présence, parmi la délégation officielle accompagnant le président français Emmanuel Macron en Algérie, du grand rabbin de France, Haïm Korsia, irrite bien des milieux chez le voisin de l’est. Des islamistes du pouvoir jusqu’au cœur du «système», on hésite entre levée de boucliers et opposition (mal) enrobée.

Le 24/08/2022 à 10h16

La présence est qualifiée d’inédite et, chez le voisin de l’est, elle est loin d’être la bienvenue: parmi les 90 personnalités devant accompagner le président Emmanuel Macron lors de son déplacement, à partir de demain jeudi 25 août et pour trois jours, en Algérie, figure Haïm Korsia. Il s’agit du grand rabbin de France, né de parents algériens mais dont l’arrivée est tout sauf souhaitée par bien des milieux en Algérie. Des islamistes du pouvoir jusqu’aux cercles les plus rapprochés de ce dernier, on ne cache nullement son refus.

Un des premiers à tirer a été Abderrazak Makri, leader islamiste cependant proche du pouvoir et chef du parti Mouvement de la société pour la paix (MSP). Sur Facebook, Makri, largement repris par les médias algériens et français, comme TSA ou Le Point, a indiqué mardi 23 août que ce déplacement est une tentative de faire pression sur l’Algérie pour normaliser ses relations avec Israël. «Après le scandale impliquant des joueurs de football pour visiter l'entité, voilà encore la France officielle qui ramène le grand rabbin de France qui soutient l'entité et qui dénie leurs droits aux Palestiniens», a-t-il écrit.

Pour lui, la France est le «chef de file de la laïcité et du jacobinisme qui combat tout lien entre religion et politique, mais qui le pratique finalement». Ainsi, «la laïcité en France ne concernerait que l'hostilité contre l'islam à travers les discours de son président».

Makri est, faut-il le préciser, l’islamise de la junte qui est «activé» quand certains sujets entrent dans le cadre de son champ de prédilection. Mais la venue du grand rabbin de France irrite même ceux qui ont combattu l’islamisme au sein du «système» algérien. La preuve: le site d’information de Khaled Nezzar, dirigé par son fils Lotfi et qui représente une aile puissante dans la junte, a marqué une longue distance quant à l’arrivée en Algérie du rabbin. Le fait que le père de Haïm Korsia soit originaire d’Oran et que sa mère soit née à Tlemcen ne change en rien l’hostilité dont il est entouré.

Algérie patriotique rappelle à ce titre qu’en 2018, «le religieux juif avait exprimé le souhait de retourner en Algérie», mais «le ministre des Affaires religieuses de l’époque, Mohamed Aïssa, qui en avait fait l’annonce, avait précisé que le gouvernement ne pouvait faire aucun commentaire sur cette volonté dès lors qu’il n’avait reçu aucune demande officielle». Sans préciser quelle aurait été la réaction des autorités politiques si elles étaient destinataires d’une telle demande.

De l’eau a-t-elle coulé sous les ponts depuis? Pas si vite. «Alger a rompu ses relations diplomatiques avec Rabat en août 2021 en bonne partie à cause de la normalisation des relations avec Israël», résume le magazine Le Point. Dans l’armée, dans la classe politique et dans les médias algériens, on désigne d’ailleurs Israël par l’appellation «Entité sioniste», une expression, dotée d’un coefficient à la fois péjoratif et haineux.

Cette «entité» est systématiquement désignée comme co-responsable, avec le Maroc, de tous les maux qui frappent l’Algérie, ce qui traduit rien de moins qu’un antisémitisme notoire, érigé en doctrine d’Etat, bien enraciné dans le pays, et dont on use d’une façon totalement décomplexée. On rappellera, à titre seulement indicatif, que pour galvaniser les troupes lors d’un exercice de marche ordonnée de la gendarmerie nationale algérienne, on chante à tue-tête… un appel à massacrer les juifs. Les images: 

Par Tarik Qattab
Le 24/08/2022 à 10h16