Tôt ce matin du samedi 7 octobre, le mouvement de résistance islamique palestinien Hamas a enclenché une attaque surprise, par les airs et sur le sol, employant des tirs massifs de roquettes et des infiltrations d’un grand nombre de ses combattants dans le territoire israélien ou dans des zones contrôlées par l’État hébreu. Jusqu’à présent, avec la riposte israélienne, les affrontements entre les deux belligérants ont fait 70 morts du côté israélien, et au moins 200 morts du côté palestinien, dont une immense majorité de civils.
Avec une prise de recul, certes encore difficile avec l’escalade des violences, on ne peut s’empêcher d’interroger l’ampleur de cette attaque et surtout son timing. Elle intervient en effet dans un contexte régional bien particulier, caractérisé par deux données essentielles. D’un côté, le renforcement des liens entre les Hamas, le Hezbollah et Téhéran, et de l’autre, la perspective d’une normalisation des relations entre Israël et l’Arabie saoudite, dont les deux parties se font l’écho depuis plusieurs semaines.
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Dans la conjoncture actuelle du conflit israélo-palestinien, rien ne justifiait objectivement une attaque de cette envergure, dans laquelle le Hamas (aux ordres de Téhéran) a utilisé tous les moyens militaires et de propagande dont il dispose.
Compte tenu de sa dimension, de la précision de son organisation (qui a pris de court les services de renseignement israéliens, réputés pourtant tellement performants) et de l’étendue de l’arsenal et des moyens humains et matériels qu’elle a mobilisés -entre 2.500 et 5.000 roquettes, selon les affirmations des deux parties du conflit-, cette attaque a été plus que probablement préparée et coordonnée depuis des mois avec le Hezbollah et l’Iran, parrain déclaré de la formation islamiste.
Rapprochement entre le Hamas et le Hezbollah
Il faut aussi rappeler que les deux mouvements précités, couvés par Téhéran, ont considérablement renforcé leurs relations ces deux dernières années. Des dirigeants du Hamas se sont récemment réfugiés au Liban et Ismaïl Haniyeh, son chef politique, se déplace régulièrement au pays du Cèdre pour rencontrer Hassan Nasrallah, le patron du Hezbollah. D’ailleurs, en avril dernier, dans une attaque revendiquée par le Hamas, une partie des roquettes lancées vers Israël l’ont été depuis le sud du Liban, fief du Hezbollah.
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De là à affirmer que le Hezbollah a participé (ou participera), sous une forme ou une autre, à l’offensive de ce samedi, il y a un pas peu incertain à franchir. Pour l’instant, le Hezbollah s’est suffi d’un «communiqué de soutien», dans lequel il estime que cette opération «prouve encore une fois que la volonté du peuple palestinien et les armes de la Résistance sont la seule option pour faire face à l’ennemi et à l’occupation». Une allusion à peine voilée aux tenants d’un rapprochement avec l’État hébreu comme moyen de régler le conflit israélo-palestinien? La suite du texte balaie tout doute: «Elle (l’attaque) constitue un message au monde arabe et musulman, ainsi qu’à la communauté internationale, surtout ceux qui cherchent à normaliser leurs relations avec l’ennemi, pour dire que la cause palestinienne ne meurt pas».
Qui cherche à établir des accords de paix avec Israël? Plus qu’aux États arabes signataires des Accords d’Abraham, le message s’adresse quasiment sans ambages à l’Arabie saoudite, en discussion depuis des mois avec les États-Unis et Israël pour la conclusion d’un possible accord tripartite.
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Après de multiples réunions plus ou moins secrètes entre ces trois parties, éventées au mois d’août par le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu, le royaume saoudien a fini par officialiser ces négociations, d’abord par le biais d’une interview, accordée par le Prince héritier Mohammed Ben Salmane, et homme fort du pays, à la chaîne américaine Fox News le 27 septembre dernier.
Dans cet entretien, il avait affirmé que son pays et Israël se «rapprochent» d’un accord historique de normalisation de leurs relations, sous l’égide de Washington. Le dirigeant de facto de l’Arabie saoudite n’a pas manqué d’évoquer son corollaire, qu’est la question palestinienne. «Pour nous, la question palestinienne est très importante. Nous devons la résoudre», a-t-il dit en soulignant que «les négociations se poursuivent bien jusqu’à présent». «Nous espérons qu’elles aboutiront à un résultat qui facilitera la vie des Palestiniens et qui permettra à Israël de jouer un rôle au Moyen-Orient», a ajouté celui que l’on appelle aussi par ses initiales MBS.
Un tournant, en Israël et dans le monde arabe
Dire que la possible conclusion d’un tel accord est mal vue du côté iranien serait un doux euphémisme. Et pour cause, une normalisation entre Israël et l’Arabie saoudite, puissance régionale rivale, serait synonyme, pour la République islamique, d’un affaiblissement considérable de sa position géopolitique et d’un isolement définitif sur l’échiquier du Moyen-Orient. Elle constituera assurément un tournant aussi bien en Israël que dans le monde arabe. Israël serait fondé à mettre un terme à la propension des partis conservateurs à élargir les colonies dans les territoires palestiniens et l’impulsion saoudienne ferait sans doute un effet domino dans plusieurs États arabes et musulmans.
À croire que la récente –et à l’époque surprenante– restauration des relations diplomatiques entre Ryad et Téhéran n’aurait été au mieux qu’un écran de fumée, sinon un de ces coups tactiques dont MBS a le secret, dont le seul objectif était d’endormir la méfiance de l’adversaire chiite et de signifier à l’allié traditionnel américain que les temps ont changé.
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D’autant que, parmi les conditions posées par Mohammed Ben Salmane dans le cadre de l’accord figure un traité sécuritaire avec les États-Unis, assorti d’importantes ventes d’armement, ainsi que la possibilité pour le Royaume saoudien de se doter d’une infrastructure nucléaire civile, voire militaire.
MBS ne s’en est d’ailleurs pas caché durant ladite interview, une fois interrogé sur la perspective que l’Iran se dote de l’arme nucléaire. «Nous nous préoccupons du fait qu’un pays puisse se doter d’une arme nucléaire. C’est une mauvaise chose», a-t-il affirmé. «Ils n’ont pas besoin de se doter d’une arme nucléaire parce qu’ils ne peuvent pas l’utiliser», selon lui. Mais, a-t-il ajouté, «s’ils en obtiennent une, on devra en avoir une nous aussi».
Dans cette optique de lecture, l’attaque inédite lancée par le Hamas apparaît comme une tentative, téléguidée par le pouvoir iranien, de torpiller, ou au moins entraver le processus de normalisation entre l’Arabie saoudite et Israël. L’objectif, qui a déjà un prix élevé en termes de vies humaines, est-il atteint pour la République islamique? L’inconnue de cette équation reste l’ampleur de la riposte d’Israël, frappé de stupeur, voire traumatisé, par le caractère inédit de cette offensive.
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Via son proxy de la branche armée du Hamas, l’Iran cherche à pousser Israël vers une riposte très violente qui pourrait être considérablement préjudiciable à l’État hébreu dans les opinions publiques des pays arabes et musulmans et embarrasser extrêmement l’Arabie saoudite. C’est pour cela que du caractère proportionnel de la riposte, ainsi que de la durée très limitée des représailles de Tsahal dépendra, en grande partie, le processus de normalisation (du moins à court terme) entre Tel-Aviv et Ryad. Pour l’instant, la déclaration officielle saoudienne est mesurée. Le ministère des Affaires étrangères saoudien a simplement réitéré son engagement en faveur d’une solution à deux États et de la protection des droits des Palestiniens, tout en appelant les deux parties au calme.
Même des voix à l’intérieur d’Israël sont conscientes des enjeux liés à cette attaque inédite du Hamas contre Israël. «Nous nous dirigeons vers des eaux inconnues, à la suite d’un échec sans précédent des forces de sécurité israéliennes en matière de renseignement et d’opérations. Nous nous dirigeons vers une opération militaire majeure à Gaza, et vers de probables affrontements à la frontière libanaise avec le Hezbollah et aussi en Cisjordanie», analyse Bruce Maddy-Weitzman, historien et politologue israélien, professeur à l’Université de Tel-Aviv, interrogé par Le360.
Quant au processus de normalisation entre Israël et l’Arabie saoudite, «il sera désormais mis en veilleuse, au moins jusqu’à ce que la poussière retombe», conclut-il.