En décembre 2018, le président français Emmanuel Macron assurait avec conviction que Paris restera engagée contre les jihadistes au Sahel «jusqu’à ce que la victoire soit complète». Cinq ans plus tard, les soldats français ont quitté le Mali et le Burkina Faso, théâtres de coups d’Etat. Plus au sud, ils ont dû se retirer de Centrafrique.
Le putsch militaire de la semaine dernière au Niger, dernier point d’appui du dispositif antijihadiste de la France dans la région, risque de fragiliser encore davantage la politique macronienne. «L’histoire se répète, les déboires s’accumulent», relève auprès de l’AFP Pascal Boniface, directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques. «Si les putschistes se maintiennent au pouvoir à Niamey, il sera très difficile d’y laisser (nos) soldats», au nombre de près de 1.500. La question pourrait aussi se poser à terme au Tchad où stationnent quelque 1.000 soldats français.
Un retrait du Niger n’est «pas du tout à l’ordre du jour», a affirmé mardi l’état-major français. Et la junte nigérienne n’a, à ce stade, pas remis en cause les accords de défense avec Paris comme l’avaient fait les généraux maliens et burkinabè.
«C’est une erreur d’avoir tout misé sur le Niger et le Tchad, des pays fragiles politiquement», lors du redéploiement des forces française, estime pourtant François Gaulme, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales. Il juge aussi «inéluctable» le départ des militaires français du Niger si le général putschiste Abdourahamane Tiani reste en place.
En finir avec la Françafrique
Peu après son élection en 2017, dans un discours à Ouagadoudou, Emmanuel Macron avait assuré vouloir en finir avec la «Françafrique», même s’il n’a jamais explicitement utilisé ce terme qui recouvre les réseaux politiques et d’affairisme post-coloniaux.
Depuis, il ne cesse de plaider pour un changement de méthode, un partenariat d’égal à égal. En 2020, il avait même affirmé au magazine Jeune Afrique qu’«entre la France et l’Afrique, ce doit être une histoire d’amour».
Las, le sentiment anti-français n’a cessé de croître au Sahel. Exploité par la Russie, qui même si elle n’est pas à l’origine du coup d’Etat au Niger, pourrait en profiter pour conforter sa place sur le continent, notamment via la milice Wagner.
Des milliers de personnes soutenant le putsch ont manifesté violemment dimanche devant l’ambassade de France à Niamey, scandant des slogans anti-français et brandissant des drapeaux russes. Paris a réagi en procédant à l’évacuation, toujours en cours, des ressortissants français. Emmanuel Macron a aussi brandi le spectre d’une réplique «immédiate et intraitable» en cas d’attaque contre les intérêts de la France, des propos jugés interventionnistes par la junte.
«On lui reproche depuis son premier quinquennat d’être arrogant, notamment dans ses relations avec certains chefs d’Etat africains», note en outre François Gaulme. Mais, le problème réside surtout dans «la distance entre les discours et les actes».
«Dans les actes», explique-t-il, «le système français n’a vraiment pas changé, c’est toujours des bases militaires, de l’aide au développement et le système du franc CFA», un accord monétaire qui, malgré les réformes, reste toujours considéré comme un outil de contrôle.
Changement de logiciel
«Lutte contre la pauvreté et le réchauffement climatique (...) restructuration des dettes, entrepreneuriat, coopération culturelle. Beaucoup de choses ont été menées afin de sortir du prisme militaire», tempère une source diplomatique française.
«Emmanuel Macron a voulu opérer un changement de logiciel ambitieux dans notre relation avec les pays d’Afrique. Tout cela ne peut s’inscrire que dans du temps long», poursuit la même source.
Les relations entre Paris et ses anciennes colonies africaines sont houleuses depuis des décennies. «Il faut aller au-delà de l’obsession anti-Macron si l’on veut faire une analyse structurelle correcte de la situation», observe Achille Mbembe, professeur d’histoire et de sciences politiques à l’université du Witwatersrand, à Johannesburg. Et de pointer la responsabilité des différents présidents français qui se sont succédé: «On fait face à une lame de fond historique qui a trait à l’échec de la décolonisation».