Karim Zéribi, de Marseille à Tindouf: itinéraire d’un cleptomane

Le franco-algérien Karim Zéribi.

PortraitAncien cheminot devenu eurodéputé par accident, chroniqueur télé par nécessité et désormais propagandiste du régime d’Alger par opportunisme, Karim Zéribi incarne l’art consommé du retournement de veste. De ses condamnations judiciaires en France pour vol de biens sociaux à ses sorties pro-Polisario sur les plateaux algériens, il s’est fabriqué une carrière à coups de slogans et de postures, sans jamais offrir d’autre constance que celle de l’intérêt personnel. Retour sur un parcours en zigzag, où l’ambition a toujours pris le pas sur la cohérence.

Le 13/09/2025 à 11h46

Karim Zéribi, c’est un chat politique qui a déjà usé trois vies— et trois tiroirs-caisses. Né à Avignon d’un père algérien et d’une mère pied-noir, il a fait de sa double filiation un terrain de jeu: un jour porte-voix des quartiers populaires français, le lendemain proxy zélé d’Alger, comme si l’état civil n’était qu’un vestiaire. Sur les ondes, il change de maillot sans baisser les yeux: tribun «social» le matin, bateleur médiatique le soir, puis héraut d’un patriotisme d’emprunt à l’aube. Son héritage devient prétexte, son discours une valise à double fond.

Le patriotisme? Il gît sous la pile des casseroles et des condamnations qui ont stoppé net sa trajectoire. À défaut d’idéal, il lui resta la combine: surfer sur ses deux patronymes, cultiver la confusion, louer sa voix au plus offrant. Trois vies donc: l’élu qui s’achète une vertu à crédit, le chroniqueur prêt à tout pour une minute d’antenne, et enfin le propagandiste algérien assumé, chouchou d’un appareil qui aime les drapeaux jetables. Partout la même méthode: une démagogie volatile, qui flatte puis se défausse, qui promet puis s’évapore quand la réalité frappe à la porte.

Alger comme planche de salut

Le virage algéro-polisarien n’est pas un pas de côté: c’est sa troisième mue, la plus voyante. En octobre 2023, Zéribi fait un déplacement en Algérie, avec un objectif bien précis, microphone tendu sur Radio Alger Chaîne 3, pour faire un appel du pied aux caciques du régime qui finiront par l’enrôler. Il vante la «communauté nationale» et le rôle de la diaspora— posture messianique d’un VRP qui découvre soudain une vocation de diplomate officieux. Il affirme avec aplomb: «les Algériens de l’intérieur et les Algériens de la diaspora ne forment qu’une seule communauté, la communauté nationale». L’interview dit l’essentiel: la communauté doit «prendre toute sa place», il faut «quelqu’un pour mener une diplomatie parallèle et réunir la diaspora et la pousser à revenir et à investir au pays». Ce jour-là, il pose ses jalons: ça sera lui. Visibilité, accès, carnet d’adresses. Le récit est huilé.

Dans la foulée, il fonde son engin politique, son outil de reconversion: le Conseil mondial de la diaspora algérienne (CMDA). Site léché, storytelling rond, Zéribi s’y affiche en bras droit d’un régime occulte, disposant de fonds sans limite. Les événements s’empilent, de Paris à Alger, avec galas et “invest connect” à la clé— logistique lourde, budgets opaques, invitations à la pelle. La presse algérienne aligne des dépêches sur ses opérations, signe que la machine a des relais. Il organise un gala et revendique 400 invités: décor parfait pour les selfies, entre strass de groupies et promesses d’affaires. L’argent «tombe du ciel»? Disons qu’il pleut surtout sur sa scène.

Mais derrière le vernis associatif, c’est une recomposition politique qui s’opère. L’homme, rendu juridiquement inéligible en France, trouve en Algérie une arène de substitution. Sa «diplomatie parallèle» ressemble moins à une innovation géopolitique qu’à une agence d’événementiel pour influenceurs en mal d’utilité publique, arrosée de financements dont la traçabilité interroge jusque chez ses supposés alliés. La cause algérienne se mue ainsi en un nouvel habit, un nouveau drapeau à brandir.

Le Sahara comme terrain d’affichage

La couture avec le Sahara s’est faite en direct. Il n’avait jamais évoqué avant cette date le Polisario. Sur la chaîne publique algérienne AL24, le 9 septembre 2025, Zéribi lâche une bavure: «le Sahara occidental est un pays plein et entier, intégré à l’Union africaine depuis 1984». C’est court et c’est faux. Le «Sahara occidental» n’est pas un pays; il confond la géographie et la politique. Il voulait dire RASD, mais s’emmêle dans son prêt-à-penser de plateau. Il oublie aussi d’avouer que l’ONU, la seule organisation qui détient la liste des pays reconnus du monde, ne calcule pas la RASD et utilise le vocable «goupe» pour désigner le Polisario dans l’affaire du Sahara marocain. Il y va en accroches, pas en dossier. Le clip tourne, relayé par des comptes qui s’en réjouissent— logique: la petite phrase coche toutes les cases du narratif officiel d’Alger.

Zéribi l’aborde comme une séquence de talk-show: confondant entités, réécrivant l’histoire, se contentant d’aligner des slogans. L’Algérie, qui cherche à internationaliser la cause du Polisario, trouve en lui un allié commode: français de passeport, algérien de circonstance, il incarne ces Franco-algériens dont l’émotion supplante l’argument et où l’intérêt intime se dissimule derrière un faux militantisme.

Là où il faudrait des cartes, il brandit des pancartes. Là où il faudrait des notes, il claque des punchlines. Le Sahara est pour lui un simple décor rhétorique, un agenda où se faire valoir auprès de ses hôtes algériens. Et pour mieux prouver sa ferveur, il attaque frontalement les voix discordantes en France. Ainsi se fait-il le contempteur acharné de l’ancien ambassadeur Xavier Driencourt ou du ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, qu’il attaque violemment dans les médias pour plaire à ses maitres d’Alger. Ce virage algérien, cousu de fils voyants, apparaît comme un costume de plus dans une garde-robe déjà fournie.

L’éternel funambule

Pour comprendre l’homme, il faut remonter à ses débuts. Aventurier politique sans école— c’est ainsi que commence son histoire. Adolescent sans bac ni boussole, Zéribi traîne sa passion unique pour le foot sur des terrains vagues, un footballeur raté puis collectionne les petits boulots avant d’entrer à la SNCF, où l’on embauche volontiers les enfants de la maison. Là, le syndicat CGT lui sert de rampe de lancement: beau parleur prompt à s’emparer du «dossier diversité», il découvre que son bagout peut tenir lieu de diplôme. Le geste est déjà lisible— combler le vide d’une formation par la frénésie d’activités, occuper l’espace, remplir le cadre.

Viennent les années 1990 et l’appétit d’appareil. Il commence avec Chevènement puis pousse la porte du Parti socialiste, avant de se réinventer chez Europe Écologie. À Marseille, il se range sous l’étiquette «divers gauche», soutient les socialistes locaux de Guérini en 2008, avant de chausser le maillot vert pour un strapontin d’eurodéputé. Rien d’un itinéraire idéologique— tout d’une carrière météo: on change d’abri avec la saison, on ajuste le discours à l’air du temps. «Homme de la diversité» lorsqu’il faut séduire, faiseur de réseaux quand il s’agit de durer: on chercherait en vain un socle doctrinal autre que sa propre progression. Il atteint son zénith en remplaçant Vincent Peillon au Parlement européen, en 2012. Apothéose en trompe-l’œil: dès 2014, la chute survient.

Jugements et déchéance: la justice ferme le rideau

La suite se joue au tribunal. Durant quelques années il rase les murs et vivote avec des «Je suis présumé innocent» et «Vous verrez, laissons faire la justice». En septembre 2020, le correctionnel le déclare coupable d’abus de biens sociaux au détriment des associations qu’il présidait, Agir pour la Citoyenneté et Agir pour la Compétence. En appel, en novembre 2021, la sanction tombe: trois ans avec sursis, 80.000 euros d’amende, cinq ans d’inéligibilité et interdiction de gérer un parti ou une association— rideau judiciaire qui l’éjecte de la vie civique française.

Le dossier d’audience dévoile les dessous des affaires. Des salariés décrivent des structures pliées «au profit personnel» de Zéribi, transformées en «véhicule politique». Les fonds associatifs ont financé des sondages de notoriété sur sa personne, des outils de communication taillés sur mesure, jusqu’au loyer de son cercle de réflexion «Nouvelle France». Autrement dit: l’argent destiné aux jeunes des quartiers sert à polir l’image du bienfaiteur autoproclamé. L’homme des causes laisse paraître la silhouette d’un professionnel de lui-même.

La disparition politique est actée. Sans fief, sans mandat et sans horizon républicain, il cherche ailleurs ce qu’on lui refuse ici. La tentation algérienne devient alors une évidence. Suicidé en France, c’est l’amorce d’un exil d’ambition plus que de conviction, la promesse d’une «diplomatie parallèle» où l’ego joue au ministère. La fluidité, chez lui, n’est pas une qualité intellectuelle: c’est un mode opératoire. D’ailleurs il évitera soigneusement d’enregistrer le CMDA en France. Il le fera en Belgique.

L’écran comme refuge: punchlineur à ses heures perdues

Privé de mandat, il se rabat sur la vitrine médiatique. Au plus fort de sa disgrâce, il se recycle dans la bande à Hanouna sur C8, puis s’installe comme chroniqueur sur CNews et RMC. Plateaux, chronos, clashs fabriqués, indignations millimétrées: un théâtre où l’on parle de tout— banlieues, immigration, politique— sans le poids d’aucune responsabilité électorale. Zéribi s’y fait punchlineur, préparant hors antenne de petites phrases à impact pour mieux frapper en direct. Le rôle est connu: contradicteur de service, agitateur algérien utile, figurant permanent des polémiques du soir.

Au bout du compte, la cohérence de l’homme se résume à sa plasticité: on change d’étiquette comme d’émission, d’allié comme de cadrage, avec la même ferveur de circonstances. La trajectoire raconte alors moins une idée qu’une entourloupe: capter des moyens, convertir la notoriété en rente. La boucle scolaire fut un vide; le parcours, un remplissage.

On dira qu’il a «rebondi». Non, il a surtout pris l’habitude de tomber debout. Reste une morale sans attaches, un CV en forme de girouette. Le Sahara et l’Algérie lui offrent un nouveau spectacle, mais qui le révèle tel qu’il est: un bateleur plus soucieux de visibilité que de vérité, un funambule sans filet idéologique, qui joue sa survie politique dans les travées d’Alger après avoir consumé son crédit à Marseille. Zéribi n’a plus de scène. La justice a fermé le portail, Alger a entrouvert la fenêtre.

Par Karim Serraj
Le 13/09/2025 à 11h46