Visé par deux plaintes pour des faits qui auraient été commis en France en 2009 et 2012, l'islamologue de 55 ans, aussi clivant qu'influent depuis des années dans les milieux musulmans, a été inculpé pour viol et viol sur personne vulnérable, a affirmé une source judiciaire
Il a demandé qu'un éventuel placement en détention provisoire, requis par le parquet, fasse l'objet d'un débat ultérieur devant un juge des libertés et de la détention (JLD). Dans l'attente de ce débat qui doit avoir lieu dans les quatre jours, il a été incarcéré, a ajouté la même source.
Trois juges d'instruction ont été désignés pour cette affaire, selon des sources concordantes, signe de la complexité de l'affaire ou de l'amplitude des investigations envisagées.
A la suite du scandale lié au producteur américain Harvey Weinstein, qui a entraîné dans de nombreux pays une libération de la parole de victimes d'abus sexuels, deux femmes avaient accusé, fin octobre, le théologien de les avoir violées, l'une en 2009 à Lyon, et l'autre en 2012 à Paris.
Ce petit-fils du fondateur de la confrérie égyptienne islamiste des Frères musulmans, accusé par ses détracteurs de promouvoir un islam politique et de manier un double discours, avait alors dénoncé "une campagne de calomnie".
La première plaignante, Henda Ayari, 41 ans, accuse l'islamologue de l'avoir violée dans un hôtel de Paris en 2012. Elle avait déjà raconté la scène dans son autobiographie en 2016, désignant son agresseur présumé par un pseudonyme et sous les traits d'un prédicateur musulman aux conférences très courues. Mais sans se résoudre encore à porter plainte.
La défense de l'intellectuel a alors versé au dossier des pièces censées discréditer la parole de cette ancienne salafiste devenue militante féministe. Notamment des conversations sur Facebook au cours desquelles une femme, qui se présente comme Henda Ayari, fait en 2014 - soit deux ans après les faits présumés - des avances explicites à Tariq Ramadan, qui n'y donne pas suite.
La seconde plainte a été déposée fin octobre, quelques jours après la première. Cette femme de 40 ans, qui se présente sous le pseudonyme de "Christelle", accuse l'universitaire de l'avoir violée et frappée lors de leur unique rencontre dans un hôtel à Lyon (centre-est) en 2009.
"Coups sur le visage et sur le corps, sodomie forcée, viol avec un objet et humiliations diverses, jusqu'à ce qu'elle se fasse traîner par les cheveux vers la baignoire et uriner dessus, ainsi qu'elle l'a décrit dans sa plainte", rapporte le magazine Vanity Fair, qui l'a rencontrée.
Tariq Ramadan et "Christelle" ont confronté jeudi en fin d'après-midi leurs versions. Au terme de trois heures d'audition très tendue, le théologien, qui nie tout rapport sexuel avec cette femme, a refusé de signer le procès-verbal.
"Chacun est resté sur ses positions", a précisé une source proche du dossier. Selon elle, l'islamologue a été mis en difficulté par la connaissance qu'avait son accusatrice d'une petite cicatrice à l'aine, indécelable sans un contact rapproché.
Avant de convoquer M. Ramadan, les policiers ont mené trois mois d'enquête qui ont débuté par l'audition des plaignantes, à Rouen (nord-ouest) et Paris. Selon une source proche de l'enquête, de nombreux échanges à caractère érotique ont été versés au dossier et des dizaines de personnes ont été entendues, notamment des femmes témoignant de faits similaires mais qui n'ont pas porté plainte à ce jour.
L'essayiste française Caroline Fourest, qui combat médiatiquement Tariq Ramadan depuis plusieurs années, a également été auditionnée. Les avocats de l'intellectuel ont riposté en déposant une plainte contre elle pour subornation de témoin.
Après l'ouverture de l'enquête, qui a fait resurgir des accusations d'agressions sexuelles sur ses élèves à Genève dans les années 1990, Tariq Ramadan a été mis en congé, d'un commun accord, de l'université britannique d'Oxford, où il enseignait comme professeur d'Etudes islamiques contemporaines. Il continue toutefois de diriger un Institut islamique de formation à l'éthique (IIFE) à Paris.