Prudent jusqu’ici, le président français Emmanuel Macron opte pour la ligne dure avec le régime d’Alger. Dans une lettre adressée au Premier ministre et publiée par le quotidien Le Figaro, il appelle désormais à «des décisions supplémentaires» et à «agir avec plus de fermeté et de détermination» envers le pouvoir algérien. «Il aurait pu en être autrement. Désormais, nous n’avons pas d’autre choix», justifie-t-il au quotidien, évoquant le refus répété d’Alger de coopérer malgré les appels de Paris. Les raisons de ce durcissement sont nombreuses. «Le sort réservé à nos compatriotes Boualem SANSAL et Christophe GLEIZES, le non-respect par l’Algérie de ses obligations au titre de nos accords bilatéraux, notamment l’accord de 1994 sur les réadmissions et l’accord de 2013, tout comme la cessation de toute coopération des 18 consulats algériens présents sur notre sol avec les services de l’État: tout cela exige que la France agisse avec plus de fermeté et de détermination. C’est ce que je demande au gouvernement», énumère Macron dans sa lettre.
Au cœur de cette inflexion diplomatique, la suspension officielle de l’accord de 2013 relatif à l’exemption de visa pour les passeports officiels et diplomatiques. Cette décision, demandée au ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot, vient confirmer un gel déjà effectif. «J’ai bien noté que de premières mesures ont été prises à l’égard des hauts responsables algériens qui pourraient vouloir se rendre dans notre pays. Il nous faut toutefois acter à présent la suspension officielle de l’accord de 2013 concernant les exemptions de visa sur les passeports officiels et diplomatiques», écrit le président français.
Eviter tout «contournement»
Macron instruit également le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau de coordonner la ligne de fermeté au niveau européen, afin d’éviter tout «contournement» par des partenaires profitant de la brouille franco-algérienne. Une allusion claire à l’Italie, dont la cheffe du gouvernement, Giorgia Meloni, a récemment reçu Abdelmadjid Tebboune, concluant plusieurs accords. L’exécutif français entend aller au-delà des restrictions de visa déjà mises en place en mars. Désormais, même les détenteurs de passeports de service algériens verront leurs demandes de visa de court séjour systématiquement refusées.
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«Je vous demande donc que le ministre de l’Europe et des Affaires Etrangères notifie aux autorités algériennes la suspension formelle de cet accord. Je vous prie également de solliciter du ministre de l’Intérieur qu’il obtienne de nos partenaires Schengen qu’ils prennent les mesures indispensables à l’efficacité de nos décisions, tout particulièrement la consultation de la France pour la délivrance des visas de court séjour pour les responsables algériens en question et les passeports visés par cet accord», lit-on.
Et d’ajouter: «Je vous invite également à activer les dispositions que nous avons élaborées en janvier 2024 dans le cadre de la loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration (CIAI). Son article 47, dont j’ai souhaité l’aboutissement, a créé un levier visa-réadmission (LVR) national qui permet de refuser les visas de court séjour aux détenteurs de passeports de service et diplomatiques, tout comme les visas de long séjour à tous types de demandeurs. Je souhaite que ces dispositions soient mises en œuvre immédiatement et que cela soit notifié aux autorités algériennes».
Des tensions structurelles non résolues
Le président exige par là une mise en œuvre immédiate de l’expulsion des ressortissants algériens en situation irrégulière, notamment ceux jugés dangereux. Une réaction directe à l’attentat de Mulhouse impliquant un ancien détenu algérien. «À ce sujet, je partage ici l’inquiétude particulière que m’inspire la situation des ressortissants algériens les plus dangereux, sortant de prison ou placés en centre de rétention administrative et qui ne peuvent plus être expulsés, faute de coopération des autorités algériennes. J’ai bien pris note des mesures envisagées par le gouvernement pour allonger pour l’avenir les délais de rétention de ces personnes comme de la volonté du ministre de l’Intérieur d’en assigner certaines à résidence. Quels que soient leurs mérites, ces mesures ne peuvent toutefois pallier le défaut de coopération algérien ni répondre au risque que constitue le prolongement du séjour de personnes dangereuses sur notre territoire, comme l’attentat de Mulhouse nous l’a tristement rappelé», note Emmanuel Macron.
Le Premier ministre est ainsi chargé d’instruire son ministre de l’Intérieur de trouver au plus vite les voies et moyens d’une coopération utile avec son homologue algérien. «Je souhaite également que, face à la délinquance des individus algériens en situation irrégulière, le Ministre de l’intérieur et ses services agissent sans repos et sans répit», lit-on encore.
C’est désormais Macron qui sera aux manettes en affirmant «suivre avec précision» certains indicateurs: reprise des auditions consulaires, délivrance effective des laissez-passer consulaires et des réadmissions…
Derrière ce durcissement, plusieurs dossiers restent en suspens. Parmi eux, la détention prolongée de Boualem Sansal, écrivain franco-algérien, et du journaliste Christophe Gleizes, arrêté en mai 2024, cristallise bien des colères en France. Macron, qui espérait une issue favorable, estime aujourd’hui que les «espoirs de clémence ont été dissipés».
Les conditions d’un «retour à la normale»
D’autres sujets sensibles restent sans réponse. Il s’agit de la dette hospitalière algérienne, des questions mémorielles liées à la colonisation, ou encore des restitutions des anciens sites d’essais nucléaires français. Autant de contentieux qui pour l’heure, ne trouvent aucun écho à Alger. S’ajoute à cela le dysfonctionnement de l’ambassade de France à Alger, entravée dans ses activités par les autorités locales. «Les mesures d’entrave que les autorités algériennes ont prises à son égard ont pour effet automatique, d’ores et déjà, une baisse de 30% de la délivrance des visas, compte tenu du manque d’effectifs consulaires autorisés à rejoindre nos services des visas en Algérie et de la moindre capacité à traiter la demande qui en découle», explique Emmanuel Macron.
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Tout retour à la normale de la coopération nécessitera que l’ambassade de France à Alger recouvre les moyens de son action. «C’est à cette condition aussi que notre ambassadeur pourra rejoindre son poste», tranche le président français. Et c’est alors que les trois consuls algériens déjà présents en France seront autorisés à exercer leur mandat, «en exigeant toutefois une reprise de la coopération migratoire par les services placés sous leur autorité (reprise prioritaire de la délivrance des laissez-passer consulaires et des réadmissions, en particulier pour les individus les plus dangereux)». Pour le président de la République française, seule cette reprise permettra d’admettre cinq autres consuls en attente d’autorisation.
En filigrane, c’est bien le rapport au régime algérien qui évolue. Macron rompt avec la retenue affichée jusqu’ici envers le président Tebboune. Son ton se fait plus offensif. «La France doit être forte et se faire respecter. Elle ne peut l’obtenir de ses partenaires que si elle-même leur témoigne le respect qu’elle exige d’eux. Cette règle vaut pour l’Algérie aussi», insiste-t-il. Le durcissement opéré par Emmanuel Macron marque un tournant assumé dans la diplomatie française. Reste à savoir si ce changement de ton suscitera une inflexion côté algérien, ou au contraire, aggravera durablement la fracture. Le régime d’Alger est prévenu: «la réponse des autorités algériennes à nos exigences en matière de coopération migratoire et consulaire déterminera la suite de nos démarches», avertit Macron.








