Empêchés de devenir membres de l’ONU les Palestiniens s’en remettent à l’Assemblée générale, sur fond d’échec des négociations au Caire

Le président palestinien Mahmoud Abbas (au centre à droite) rencontrant Philippe Lazzarini (au centre à gauche), le commissaire général de l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine, à Ramallah le 28 février 2024

Après le véto américain à leur adhésion pleine et entière à l’ONU, les Palestiniens devraient obtenir vendredi grâce à l’Assemblée générale quelques droits supplémentaires au sein de l’organisation, une avancée symbolique qui a déjà provoqué la colère d’Israël. L’État hébreu a multiplié vendredi les frappes dans la bande de Gaza après le départ, sans accord, des deux camps de la table des négociations visant à arracher une trêve et empêcher une offensive israélienne sur Rafah.

Le 10/05/2024 à 06h21

Face à la guerre à Gaza, les Palestiniens, qui ont un statut «d’État non membre observateur», avaient relancé début avril leur requête de 2011 réclamant de devenir un État membre à part entière des Nations unies.

Pour aboutir, une telle initiative nécessite, avant un vote de l’Assemblée générale à la majorité des deux tiers, une recommandation positive du Conseil de sécurité. Mais les États-Unis y ont mis leur véto le 18 avril. Alors les Palestiniens ont décidé de se tourner vers l’Assemblée générale, où, selon plusieurs observateurs et diplomates, ils devraient recueillir une large majorité.

Le projet de résolution présentée par les Émirats arabes unis «constate que l’État de Palestine remplit les conditions requises pour devenir membre» de l’ONU, et «devrait donc être admis à l’Organisation».

Il demande ainsi que le Conseil de sécurité «réexamine favorablement la question». Une perspective plus qu’improbable vu la position de Washington qui s’oppose à toute reconnaissance en dehors d’un accord bilatéral entre les Palestiniens et leur allié israélien, dont le gouvernement rejette la solution à deux États.

«On pourrait se retrouver dans une sorte de boucle diplomatique funeste avec l’Assemblée qui appelle de façon répétée le Conseil à accepter l’adhésion palestinienne et les États-Unis qui mettent leur véto», a commenté Richard Gowan, analyste à l’International Crisis Group.

Dans cette perspective, le texte prévoit d’octroyer sans attendre «à titre exceptionnel et sans que cela constitue un précédent», une série de «droits et privilèges supplémentaires» aux Palestiniens à partir de la 79ème session de l’Assemblée en septembre.

«Brique par brique»

Excluant sans ambiguïté le droit de voter et d’être candidat au Conseil de sécurité, le texte leur permet par exemple de soumettre directement des propositions et des amendements, sans passer par un pays tiers, ou encore de siéger parmi les États membres par ordre alphabétique.

«On construit un bâtiment brique par brique. Si certains pensent que c’est symbolique, pour nous c’est important. Nous avançons vers notre droit naturel et légitime à être un membre à part entière de l’ONU», a déclaré jeudi l’ambassadeur palestinien Riyad Mansour à quelques journalistes.

«C’est le symbole qui est important», a également jugé Richard Gowan, évoquant un «message clair» ainsi envoyé aux Israéliens et aux Américains.

Israël a d’ailleurs par avance fustigé l’initiative. Le vote «va octroyer à l’Autorité palestinienne les droits d’un État de facto», a dénoncé l’ambassadeur israélien à l’ONU Gilad Erdan, y voyant une tentative de «contourner le Conseil de sécurité et de violer la Charte de l’ONU». Les États-Unis ont également émis des réserves.

«Nous craignons que cela ne crée un précédent», a déclaré l’ambassadeur américain adjoint à l’ONU Robert Wood.

La première version du texte, vue par l’AFP, était plus ambiguë, accordant à «l’État de Palestine des droits et privilèges» à l’Assemblée, «sur un pied d’égalité avec les États membres», sans lister ces droits.

Mais la nouvelle version «est en accord avec la Charte», a assuré Samuel Zbogar, ambassadeur de la Slovénie actuellement membre du Conseil de sécurité. «Elle (...) ne touche pas aux éléments qui n’appartiennent qu’aux États membres».

Alors qu’Israël poursuit son offensive à Gaza, en représailles à l’attaque sans précédent du mouvement islamiste Hamas du 7 octobre, ce vote permettra aux Palestiniens de compter leurs soutiens et le cas échéant de prouver que sans le véto américain au Conseil, ils auraient les voix nécessaires à l’Assemblée pour valider une adhésion.

En décembre dernier, 153 pays sur 193 avaient soutenu l’appel à un cessez-le-feu immédiat à Gaza (10 voix contre, 23 abstentions).

Échec des négociations entre le Hamas et Israël au Caire

Aux premières heures vendredi, des équipes de l’AFP ont fait état de tirs d’artillerie israéliens vers Rafah, à la frontière égyptienne, et des témoins de frappes aériennes sur la ville de Gaza et le secteur de Jabalia, dans le nord du territoire.

Pendant ce temps, le Hamas a envoyé un message aux autres factions palestiniennes pour expliquer son point de vue sur l’état des négociations indirectes avec Israël qui se déroulaient depuis mercredi au Caire.

«La délégation a quitté Le Caire pour Doha. L’occupation a rejeté la proposition soumise par les médiateurs que nous avions acceptée. En conséquence, la balle est désormais entièrement dans le camp de l’occupation», nom donné à Israël par le mouvement islamiste, a-t-il indiqué dans cette lettre.

Les représentants du Hamas et d’Israël ont quitté Le Caire après «deux jours de négociations», avait rapporté le média Al-Qahera News, proche du renseignement égyptien, précisant que les efforts des pays médiateurs (Égypte, Qatar, États-Unis) «se poursuivent pour rapprocher les points de vue des deux parties».

Le directeur de la CIA, William Burns, qui s’est fortement impliqué dans les pourparlers et présent au Caire et à Jérusalem cette semaine, rentre vendredi aux États-Unis, a affirmé la Maison-Blanche.

Le Hamas avait donné son feu vert lundi à une proposition présentée par les médiateurs qui comprend, selon le mouvement, une trêve en trois phases, chacune d’une durée de 42 jours, incluant un retrait israélien de Gaza ainsi qu’un échange d’otages israéliens et de prisonniers palestiniens en vue d’un «cessez-le-feu permanent». Mais Israël a répondu que cette proposition était «loin de ses exigences».

«Des chars partout»

Selon l’Agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens (Unrwa), dont les bureaux à Jérusalem ont été la cible selon elle d’une tentative d’incendie par des «extrémistes israéliens», environ 80.000 personnes ont fui Rafah depuis qu’Israël a appelé, en début de semaine, la population de l’est de la ville à quitter les lieux.

Certains ont pris le chemin de Khan Younès, une ville en ruines à quelques kilomètres au nord, tandis que d’autres se demandaient encore où aller.

«Les chars, l’artillerie et le bruit des bombardements sont incessants. Les gens ont peur et veulent chercher un endroit sûr», a raconté à l’AFP un déplacé, Abdel Rahman.

Malgré la réouverture mercredi du passage de Kerem Shalom, fermé pendant trois jours en raison de tirs de roquettes selon Israël, l’acheminement de l’aide reste «extrêmement difficile», a affirmé à l’AFP Andrea De Domenico, le chef du bureau de l’agence humanitaire des Nations unies (Ocha) dans les territoires palestiniens.

«C’est fou», les Israéliens «ont des chars partout, des troupes sur le terrain, ils bombardent la zone à l’est de Rafah et ils veulent que nous allions chercher du carburant ou des produits de base» dans ces zones de guerre alors qu’«ils savent que nous ne pouvons tout simplement pas y aller», a-t-il ajouté.

La situation à Gaza est au programme vendredi d’une session spéciale de l’Assemblée générale à l’ONU.

Par Le360 (avec AFP)
Le 10/05/2024 à 06h21