Il y a encore quelques années, concerts et salles de cinéma étaient interdits en Arabie saoudite. Désormais, le pays se rêve en capitale de la fête: Jennifer Lopez s’y est produite, des combats de MMA attirent les foules et, chaque hiver, Ryad accueille le MDL Beast, gigantesque festival de musique électronique, un «Woodstock saoudien» où se produisent des DJ internationaux.
Mais après avoir multiplié les importations culturelles, la riche monarchie du Golfe, berceau de l’islam et réputée pour son austérité religieuse, met désormais l’accent sur son propre patrimoine.
Une évolution incarnée par Terhal — «périple» en arabe — où se produisent cent acrobates, voltigeurs et danseurs, dont 55 Saoudiens, dans un voyage imaginaire porté par des chansons du répertoire local et des musiques épiques.
Selon Sebastian Sons, du think tank allemand CARPO, cette stratégie de «rebranding national» vise à redéfinir l’identité saoudienne: montrer qu’elle est diverse, dynamique et moderne, tout en restant enracinée dans ses traditions.
«Tester les limites»
Dernier exemple en date: pour la Saison de Ryad, grand rendez-vous culturel hivernal, le président de l’Autorité générale pour le divertissement, Turki Al-Sheikh, a annoncé une programmation musicale «quasi totalement composée d’artistes saoudiens et du Golfe».
Auparavant, rappelle le chercheur, «des informations ont circulé au sujet du MDL Beast faisant état de la consommation de drogues, d’alcool» lors de l’évènement. Ryad et les organisateurs avaient démenti, rappelant que la consommation d’alcool reste interdite dans le royaume.
Pour Sons, le programme de réformes Vision 2030 du prince héritier Mohammed ben Salmane, dirigeant de facto, ne vise pas seulement à préparer l’après-pétrole, mais aussi «à tester en permanence les limites».
«Et si deux pas paraissent excessifs, on revient alors un pas en arrière», observe-t-il.
Une constante demeure toutefois, souligne Kristian Coates Ulrichsen, du Baker Institute de l’université américaine Rice: «le divertissement, au croisement des dimensions économique et sociale» de Vision 2030, est «perçu comme un secteur au fort potentiel inexploité mais aussi comme un moyen de mettre en valeur les transformations en cours».
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Terhal, spectacle familial associant acrobates, trapézistes et projections dernier cri, raconte l’odyssée de Saad, un jeune Saoudien parti pour un voyage initiatique. Sur son destrier, il traverse Jeddah, Dammam, Taëf, Ryad et les montagnes du nord.
Transformations sociales
«Nous avons mené un important travail de recherche sur la culture locale: pendant des mois, j’ai collaboré avec des consultants, des professeurs et des écrivains saoudiens. J’ai découvert les différentes régions, leurs traditions, leurs danses, leur musique», raconte à l’AFP l’Italien Filippo Ferraresi, directeur artistique du projet.
«Terhal permet au public de découvrir la richesse du patrimoine saoudien et de la rendre accessible aux jeunes générations comme aux visiteurs du monde entier», ajoute à l’AFP Abdulrahman Almotawa, porte-parole du ministère de la Culture.
«D’un point de vue occidental, on a tendance à voir cette politique comme de l’art washing. Certes, il y a une part d’instrumentalisation, mais aussi de nombreux créateurs qui méritent le respect pour leur travail, malgré les contraintes politiques», ajoute Sons.
«C’est un rêve devenu réalité», confie Talha Mas, danseuse saoudienne de 23 ans à l’affiche de Terhal. Elle assure n’avoir reçu «que des réactions positives» à sa participation, où elle danse en pantalon, cheveux au vent.
Une scène inimaginable il y a encore quelques années, avant la levée des règles strictes imposées aux femmes, comme l’interdiction de conduire et l’obligation de porter abaya et voile.
«J’espère voir plus de spectacles de ce genre à Ryad», s’enthousiasme Asser Saleh, spectateur égyptien de 37 ans. Avant, dit-il, «il fallait aller en Europe ou aux États-Unis pour voir ce type d’évènement».












