Crash d’Ethiopian Airlines: la gestion de crise ratée de Boeing

DR

Le constructeur Boeing a vécu une semaine noire, marquée par l'évaporation de près de 25 milliards de dollars de capitalisation boursière et une image écornée, conséquences d'une gestion de crise ratée après la tragédie du 737 MAX 8 d'Ethiopian Airlines.

Le 17/03/2019 à 11h36

"C'était calamiteux!", estime Matthew Yemma, spécialiste de la communication de crise au cabinet Peaks Strategies, basé dans le Connecticut (est), résumant un sentiment général.

"Horrible" et "épouvantable" reviennent également dans la bouche de la plupart des experts et industriels interrogés par l'AFP sur la gestion par Boeing de l'accident du 737 MAX 8 d'Ethiopian Airlines.

L'avion s'est écrasé le 10 mars au sud-est d'Addis Abeba, tuant les 157 personnes à bord.

C'est le second accident meurtrier en cinq mois impliquant ce modèle entré en service en mai 2017. Un 737 MAX 8 de la compagnie indonésienne Lion Air s'était écrasé en octobre, faisant 189 morts.

Les enquêtes se poursuivent mais de premiers éléments concernant Lion Air ont mis en cause un dysfonctionnement du système de stabilisation en vol destiné à éviter un décrochage de l'avion, le "MCAS".

Boeing s'est contenté d'un communiqué succinct publié après l'accident d'Ethiopian et actualisé une fois par jour, en dépit des immobilisations du 737 MAX en Chine dès le lendemain et en Europe dans la foulée.

En coulisses, l'avionneur s'activait pour éviter que les autorités américaines ne fassent de même.

Signe de la sensibilité du sujet, son PDG Dennis Muilenburg s'est même entretenu par téléphone avec le président Donald Trump pour défendre le 737 MAX, assurant que l'aéronef était fiable.

L'Agence américaine de l'aviation (FAA) a finalement ordonné mercredi de clouer au sol "provisoirement" les Boeing 737 MAX 8 et 9 aux Etats-Unis.

"C'est l'arrogance américaine", raconte à l'AFP une source proche de l'avionneur, ajoutant que "cette arrogance est dangereuse car elle montre que le travail n'a pas été fait correctement par excès de confiance".

Comme elle, les experts déplorent que le constructeur aéronautique n'ait pas pris les devants, une erreur magistrale, selon eux, à l'ère des réseaux sociaux et de la transparence.

Dans ce type de situation, "il faut donner le maximum d'informations possibles", avance Matthew Yemma.

"La Bourse et les investisseurs ont besoin de savoir s'il y a quelque chose qui ne va pas et si ça va être résolu", développe-t-il, faisant valoir que Boeing aurait dû prendre l'initiative de clouer temporairement au sol le 737 MAX, dès lundi, quitte à s'attirer le courroux des régulateurs.

S'il reconnaît que la décision de clouer au sol un avion revient aux autorités, Michael Priem considère que Boeing aurait au moins pu appliquer le principe de précaution pour rassurer le grand public.

"C'était le grand silence et c'est ce qui a provoqué la colère des gens (...). Nous vivons dans un monde moderne où on attend un certain niveau de transparence et des réponses très rapidement", ajoute cet expert en communication de crise chez Modern Impact à Minneapolis (nord).

Pour Richard Aboulafia du cabinet Teal Group, Boeing ne pouvait qu'envoyer des personnels techniques sur le lieu de la tragédie et continuer à examiner ce qui pourrait n'avoir pas fonctionné.

Il fait néanmoins remarquer que la résistance des autorités américaines à immobiliser l'avion suscite des questions sur les liens entre Boeing et la FAA.

La commission des Transports et des Infrastructures de la Chambre des représentants a entendu jeudi matin des responsables du régulateur aérien et envisage d'ouvrir une enquête sur la certification du 737 MAX, a indiqué à l'AFP une source parlementaire.

Elle veut aussi savoir ce que les pilotes connaissaient du système anti-décrochage MCAS et n'exclut pas des auditions publiques.

Outre de possibles actions en justice de familles de victimes, une autre conséquence du silence de Boeing est que les passagers s'interrogent désormais sur les avions dans lesquels ils embarquent, ce qui pourrait étendre leur défiance vis-à-vis du 737 MAX aux autres appareils de Boeing.

Une vaste campagne médiatique vantant la sécurité de ses avions ou mettant en exergue les exploits de ses avions de combat pourrait être un premier pas pour regagner la confiance du grand public, estime Matthew Yemma, soulignant que Boeing pourrait emprunter les recettes de BP après la marée noire de 2010 dans le Golfe du Mexique.

Mais ce ne sera sans doute pas suffisant, selon une source proche de l'avionneur: "Il va falloir que Boeing fasse un vrai travail de mea culpa, d'explication, car le mal est fait".

Le 17/03/2019 à 11h36