Chaque mois, la revue El Djeich diffuse la propagande de l’appareil militaro-politique qui dirige l’Algérie. Le numéro du mois d’octobre 2024, qui vient de paraître ce mercredi, vante dans sa couverture «La logistique de l’ANP, Artère du corps de bataille». Tout cela s’inscrit parfaitement dans la ligne éditoriale de cette publication, dont le «Superviseur général» n’est autre que «Monsieur le général d’armée Saïd Chanegriha, chef d’état-major de l’ANP», comme cela est indiqué en caractères rouges dans l’ours.
Le dossier de ce numéro vante donc l’extraordinaire maîtrise de la logistique par l’Armée nationale populaire (ANP), et le rédacteur en chef lui a choisi comme épigraphe cette tirade lourde de sens, prononcée par le général Saïd Chengriha «lors de sa visite d’inspection et de travail à Djelfa, le 3 octobre 2022»: «Les guerres étaient et demeurent toujours des guerres d’approvisionnement et de ressources par excellence, et la victoire ne serait réservée que pour celui qui saura organiser ces ressources et les faire parvenir, dans le moment opportun, aux différents échelons des forces, tout en s’attelant à la rationalisation de leur gestion, à leur préservation et à leur fonctionnement avec toute habileté́ et pertinence.» Rien à dire sur la sentence du chef d’état-major de l’armée algérienne qui coiffe ce dossier de 26 pages.
Pourtant, dès ses premières pages, le lecteur bute contre une photographie, reproduite précisément à la page 31, qui ruine non seulement la phrase du patron de l’ANP, mise en exergue, mais tout le crédit qu’on pouvait prêter à l’armée algérienne. Sur ce cliché, on voit un véhicule tout terrain de la gendarmerie, suivi par un camion léger de l’armée, et en troisième position un semi-remorque blanc qui transporte un blindé recouvert d’une bâche, probablement un char dont les chenilles sont bien visibles.
La teinte blanche du poids lourd interpelle à plus d’un titre. L’armée algérienne n’évoluant pas dans un environnement enneigé, il y a en effet de quoi s’étonner de ce choix de «camouflage». Et quand on sait à quel point le soleil est lumineux en Algérie, la couleur du camion ferait des signaux pour alerter l’ennemi à plusieurs kilomètres à la ronde. L’étonnement se mue en sidération quand on lit, en haut de la cabine du camion, l’inscription «pktrucks.com» en lettres bien visibles. Qu’est-ce donc? On consulte Internet et on découvre que PK Trucks est une entreprise florissante, établie aux Pays-Bas, spécialisée dans la location longue durée de poids lourds et d’autres véhicules.
Sur son site, PK Trucks vante ses services en ces termes: «Disposant d’un impressionnant stock permanent multimarque de plus de 1.000 camions lourds, remorques, 4x4 et équipements neufs, prêts à l’emploi, pk trucks vous garantit les délais de livraison les plus courts. Grâce aux parcs de stockage sécurisés de 30.000 m2 et aux entrepôts (sous douane), parfaitement situés entre les ports maritimes de Rotterdam et d’Anvers, les livraisons peuvent être organisées vers n’importe quel endroit dans le monde. Avec des arrivées quotidiennes de véhicules neufs dans nos stocks, châssis ou carrosseries complètes telles que: citernes à carburant, camions-grues, camion-benne, ateliers mobiles, etc., nous sommes toujours en mesure de répondre à vos demandes spécifiques, petites ou grandes!»
Une armée en état de décomposition
Résumons. Dans un dossier consacré à l’inégalable maîtrise de la logistique par l’armée algérienne, lequel dossier est publié dans la revue «El Djeich». Le porte-voix de cette même armée. Cette même revue est supervisée par Saïd Chengriha, qui est le chef de l’armée algérienne. Eh bien, dans cet outil de propagande au cœur du «Système», une photo montre que l’armée algérienne recourt, pour le transport de ses blindés, aux services d’un fournisseur civil européen, spécialisé dans la location de poids lourds. La photo en question ne permet pas de déterminer si le véhicule est loué avec chauffeur ou pas.
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Cette photo n’est pas un détail, mais un désastre. Un désastre qui en dit long sur l’état de décomposition de l’armée algérienne. Est-ce une surprise totale? Assurément non. Parce que plusieurs indicateurs convergent dans le sens d’une armée sans tête, infiltrée de partout et pas du tout qualifiée pour une guerre conventionnelle. Ci-dessous une petite liste des indicateurs de la déliquescence de l’armée algérienne:
- En 2024, le budget de l’Armée nationale populaire dépasse les 22 milliards de dollars. Avec un tel pactole, cette armée n’est-elle même pas capable de se doter de véhicules pour le transport de ses blindés, en toute sécurité et confidentialité?
- Les médias algériens passent leur temps à louer la puissance et le développement de l’industrie militaire du pays. Où sont donc passés les poids lourds de la marque Mercedes-Benz (SAPPL-MB) fabriqués à l’usine de Rouiba?
- En juillet 2022, le régime algérien a organisé un défilé militaire qui a laissé sans voix même les plus grands laudateurs de l’ANP. Au menu: pas de missiles balistiques «Iskander», ni de missiles supersoniques «YJ-21», ni de système de défense antiaérienne «S-400». Majoritairement, ce sont plutôt des antiquités qui ont pris part à cette procession. Humilié par ce défilé, le régime a préféré ne pas retenter l’expérience en 2023 et en 2024.
- L’Algérie détient le record mondial de crashs d’avions militaires. Cela est dû autant à la mauvaise formation des pilotes qu’à des problèmes structurels au niveau de la maintenance.
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- Depuis l’attaque terroriste d’In Amenas, en 2013, l’armée algérienne connaît d’interminables purges. Ces luttes intestines l’ont transformée en conglomérat de gangs qui s’écharpent. Et les règlements de compte se poursuivent. Aujourd’hui, plus de 60 officiers supérieurs sont derrière les barreaux. Le président Abdelmadjid Tebboune en est à son septième général-chef des renseignements extérieurs. Dans un pays où chaque officier craint de se retrouver le mois prochain liquidé ou emprisonné, comment ne pas voir l’armée s’équiper de véhicules de location auprès d’un opérateur civil étranger?
- Le général-major Abdelkader Lechkham, ancien directeur des transmissions du ministère de la Défense, a été condamné à une peine de prison pour avoir «dilapidé 2 milliards de dollars». Quand l’un de ses généraux parvient à détourner la somme colossale de 2 milliards de dollars, il n’y a plus rien à attendre d’une armée.
Tous ces indicateurs prouvent que l’ANP est dans un état de ruine. De surcroît, savoir que la photo en question a passé tous les filtres avant sa publication apporte la preuve d’une incompétence et d’une désinvolture à tous les étages. Que fera cette armée dans le cas d’un conflit de moyenne intensité? Une débandade en une semaine? Le délai d’une semaine serait probablement généreux…