Nacer Boudiaf, fils de l’ancien président algérien Mohamed Boudiaf, assassiné le 29 juin 1992 à Annaba, a adressé une lettre ouverte à la présidence algérienne, le mercredi 5 août dernier. Dans cette missive, il demande à Abdelmadjid Tebboune de rouvrir le dossier de cet assassinat politique, à la lumière de nombreuses nouvelles révélations.
Ces dernières semaines en effet, deux témoignages de taille, provenant de journalistes témoins, sont venus «dépoussiérer» ce dossier vieux de 28 ans, que la justice algérienne avait classé, à l’époque, sans suite en qualifiant cet assassinat d’«acte isolé».
Le premier témoignage troublant sur lequel s’appuie Nacer Boudiaf est celui de la journaliste Hadda Hazem, qui n’est autre que l’actuelle directrice d’El Fadjr, journal arabophone paraissant à Alger. Selon celle qui travaillait à l’époque dans un autre média, Al Massa en l’occurrence, leur patron a informé la rédaction ce jour-là de «l’assassinat du président (Boudiaf, Ndlr) quelques heures avant le drame». Et de préciser que d’autres patrons de presse à Alger «étaient au courant» de l’assassinat, deux heures au moins avant qu’il ne se produise!
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Le deuxième témoignage est celui du journaliste Omar Touati, qui couvrait sur place, pour le compte du Soir d’Algérie, l’activité de Annaba au cours de laquelle Mohamed Boudiaf avait été exécuté. Dans un livre qu’il a récemment publié sous le titre «Assassinat de Mohamed Boudiaf: J’accuse», ce témoin-clé, qui a directement assisté aux faits, affirme que le véritable auteur de l’assassinat du président n’est pas celui qui a été interpellé.
«Ce n’est pas Boumaârafi qui a tué Boudiaf», affirme ce journaliste. Et de poursuivre : «le tueur en question, que nous avions eu tout loisir d’observer sous tous les angles, était de taille moyenne, teint mat, cheveux noirs bouclés et barbe hirsute. Contrairement à ce qui a été avancé par certains, il ne portait pas de tenue de policier». Et d’ajouter: «aucune ressemblance avec le physique blondinet, la toise et l’élégance de Boumaârafi Lembarek, le pseudo-assassin.»
Pour Nacer Boudiaf, «ces révélations ne laissent plus de doutes», c’est pourquoi il demande à Abdelmadjid Tebboune de ne pas tergiverser un seul instant dans «la réouverture de ce dossier, vu ces fracassantes nouvelles», car «un refus sera considéré comme une injustice envers notre famille et envers tous les Algériens».
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Pourtant, Nacer Boudiaf faisait montre ces dernières années de lassitude et de désespoir face à l’omerta que lui ont toujours opposée les autorités politiques et judiciaires de son pays dans la recherche de la vérité sur l’assassinat de son père.
Il a même semblé définitivement jeter l’éponge en affirmant, en juin 2017, et en guise de commémoration lors du 25e anniversaire de la mort de Mohamed Boudiaf: «ceux qui sont morts, ils sont entre les mains du bon Dieu, ceux qui sont toujours vivants, le bon Dieu s’en occupera». Il parlait alors des commanditaires de cet assassinat, dont deux sont entre-temps décédés (Larbi Belkheir et Smain Lamari), un autre en prison (Toufik Mediène) et le dernier, actuellement en fuite (Khaled Nezzar).
Nacer Boudiaf les avait nommément cités, dans une interview accordée au site d’information TSA, en juin 2016: «Larbi Belkheir, Toufik Mediène, Khaled Nezzar et Smaïn Lamari sont les quatre commanditaires de l’assassinat de Boudiaf. Le dernier (Lamari) était l’exécuteur de la mission. Mohamed Boudiaf les dérangeait, car ses objectifs étaient clairs: l’élimination des mafias, la sauvegarde de l’Algérie et la démocratisation du système. Chose qu’ils n’ont jamais acceptée!».
Il très peu probable que Abdelmadjid Tebboune donne suite à la requête du fils du président assassiné. Il sait pertinemment que le système qui a ordonné l’exécution de Boudiaf est le même qui l’a désigné chef de l’Etat. Ce système pourrait même broyer le nouveau président mal élu, s’il venait à chercher à en altérer le fonctionnement.