Algérie: un puissant clan au sein de l’armée s’oppose ouvertement à un deuxième mandat de Tebboune

Abdelkader Bengrina, chef du parti islamiste algérien El Bina.

À moins de dix mois de la prochaine présidentielle algérienne, et alors que le président Abdelmadjid Tebboune semblait aller tout droit vers un second mandat, un puissant courant au sein du haut commandement de l’armée algérienne s’oppose à sa réélection. C’est Abdelkader Bengrina, l’islamiste attitré des généraux et jusqu’ici soutien affiché d’Abdelmadjid Tebboune, qui a déclaré à des médias que ce dernier doit passer le témoin à la nouvelle génération, celle née après l’indépendance.

Le 17/02/2024 à 11h58

Enfin, la classe politique algérienne, ou ce qui en tient lieu, va commencer, dès cette mi-février, à sortir de sa longue torpeur. En effet, en prévision de la présidentielle prévue cette année, un puissant clan de l’armée algérienne, la faiseuse de présidents, vient de paver la route menant à la Mouradia en lançant un message fort, mais pas si inattendu que cela, à savoir que le président Abdelmadjid Tebboune doit plier bagages à la fin de son actuel mandat.

Pour faire cette annonce, qui a certainement été ressentie comme un électrochoc salvateur par de nombreux Algériens, c’est Abdelkader Bengrina, chef du parti islamiste El-Bina, connu pour être un proche des généraux dont il est le porte-voix populiste, qui a été mandaté, à l’image d’un huissier de justice, pour notifier à Abdelmadjid Tebboune et son entourage que la Mouradia est désormais promise à un autre locataire.

Dans des déclarations publiées sur les réseaux sociaux, mais que la presse algérienne a complètement évitées en attendant les consignes de rigueur, Abdelkader Bengrina a surtout soulevé, mine de rien, la nécessité d’un passage de témoin à la présidence entre les générations pré- et post-indépendance de l’Algérie. Ses propos explosifs ont été révélés et commentés par le journaliste algérien en exil Abdou Semmar.

Selon Abdelkader Bengrina, la présidentielle de décembre 2019, où il avait lui-même défié ou, plus exactement, servi de sparring-partner au candidat de l’armée (Tebboune), a marqué un tournant en permettant pour la première fois le choix d’un président non issu de la génération dite de la «révolution». Cette fois-ci, il préconise que le futur président algérien doit être «jeune», c’est-à-dire issu de la génération née après l’indépendance. L’argumentaire portant sur la nécessité d’élire un président né après l’indépendance de l’Algérie n’a qu’une seule fin: signifier à Abdelmadjid Tebboune qu’il n’est plus le candidat de l’armée.

En vue d’assurer cette transition intergénérationnelle dans «le calme et la sérénité», Abdelkader Bengrina met en garde contre un scénario à la sénégalaise, c’est-à-dire contre toute manœuvre qui viserait à prolonger, sous quelque prétexte que ce soit, l’actuel mandat d’Abdelmadjid Tebboune au-delà de décembre 2024.

Le choix d’Abdelkader Bengrina pour faire de telles déclarations sur la prochaine présidentielle en Algérie n’est pas anodin. Son parti est non seulement présent, avec 39 sièges, au sein de l’actuel Parlement algérien acquis au président, mais dispose aussi de ministres au sein du gouvernement. Mieux, depuis juillet dernier, le leader islamiste n’a cessé de sonner la mobilisation au sein de l’échiquier partisan algérien en vue de créer ce qu’il appelle un puissant «front intérieur», dont la visée indirecte était de faire émerger un consensus politique soutenant un deuxième mandat présidentiel en faveur de l’actuel locataire de la Mouradia.

Si ce même Abdelkader Bengrina, qui tissait jusqu’ici des lauriers à Abdelmadjid Tebboune, a aujourd’hui tourné casaque et osé rompre le silence assourdissant, qui profitait surtout au clan présidentiel en lui permettant de laisser entendre le chef d’État algérien pourrait même être, faute d’adversaire crédible, un candidat unique à la future présidentielle, c’est tout simplement parce que le chef des islamistes d’El-Bina a été mandaté pour ce faire par un puissant clan des généraux algériens. Sachant qu’Abdelkader Bengrina et certains membres de sa famille traînent de nombreuses casseroles actuellement soumises à la justice algérienne, le deal devient on ne peut plus clair. Ce dernier est aussi assuré de n’avoir rien à craindre d’Abdelmadjid Tebboune, dont la réaction sera scrutée dans les prochains jours, lui qui vient pourtant de condamner à 5 ans de prison ferme le journaliste Ihsane El Kadi pour avoir conseillé au commandement de l’armée sa non-reconduction à la présidence algérienne en 2024.

Le timing de ces déclarations tonitruantes semble lui aussi bien choisi. Elles interviennent en effet à moins d’une semaine de la date du 5ème anniversaire du Hirak, déclenché le 22 février 2019 suite au mandat présidentiel de trop que l’on manigançait au profit d’un Abdelaziz Bouteflika mourant.

Le clan des généraux, qui a poussé Abdelkader Bengrina à mettre les pieds dans le plat, surfe de la sorte sur le fait que l’élection d’Abdelmadjid Tebboune en 2019 a été à son tour fortement dénoncée par le Hirak, avant que ce dernier ne soit brisé dans son élan par la pandémie de Covid-19 et la répression.

C’est donc la parenthèse d’Abdelmadjid Tebboune qui est en train de se refermer, comme il fallait s’y attendre d’ailleurs, car le bilan de son mandat présidentiel est tout simplement catastrophique à tous les étages.

Un avant-goût du rejet du président algérien par une bonne partie du puissant lobby militaire a été déjà donné le 25 décembre dernier, quand il a voulu instaurer ce qu’il appelle la tradition d’un discours annuel à la nation devant les deux Chambres réunies du Parlement. Ce jour-là, Abdelmadjid Tebboune, dont le sourire triste et désabusé n’a échappé à personne, aurait été obligé à la dernière minute de changer son discours en disant autre chose que ce qu’il allait réellement dire. Il avait ainsi été contraint de renoncer à annoncer sa candidature à un second mandat présidentiel.

Le tout est de savoir comment Abdelmadjid Tebboune peut résister pour se maintenir en poste. Le président algérien sait mieux que quiconque qu’en cas de non-réélection, c’est la prison qui l’attend en compagnie de ses enfants.

Par Mohammed Ould Boah
Le 17/02/2024 à 11h58