Algérie: l’instabilité des services de renseignement devient structurelle

Said Chengriha (au centre) procédant à l'installation du général Abbas Ibrahim (à droite) comme nouveau DCSA, en remplacement du général Mahrez Djeribi (à gauche).

Said Chengriha (au centre) procédant à l'installation du général Abbas Ibrahim (à droite) comme nouveau DCSA, en remplacement du général Mahrez Djeribi (à gauche).

L’instabilité chronique des services de renseignement algériens vient de connaitre son énième épisode avec le limogeage, ce samedi 13 décembre, du général Mahrez Djeribi, désormais ex-patron de la Direction centrale de la sécurité de l’armée (DCSA). Son successeur, le général Abbas Ibrahim, un illustre inconnu, a été installé, comme d’habitude, par le chef d’état-major de l’armée, le général Saïd Chengriha, à l’issue du même cérémonial qui a marqué, samedi, la 14e installation d’un chef des renseignements depuis mars 2020.

Le 14/12/2025 à 10h54

Le ministère algérien de la Défense a annoncé, samedi 13 décembre, le limogeage du général Mahrez Djeribi, qui aura passé deux années et demie à la tête de la Direction centrale de la sécurité de l’armée (DCSA), une officine censée s’occuper du renseignement militaire. C’est un autre général du nom d’Abbas Ibrahim qui l’a remplacé à ce poste.

Bien qu’elle soit considérée comme la plus stable parmi les services de renseignement algériens, la DCSA est aujourd’hui à son 5ème directeur depuis l’arrivée d’Abdelmadjid Tebboune à El Mouradia et de Saïd Chengriha à la tête de l’état-major militaire algérien. La DCSA n’a en effet pas échappé à la vaste purge, inaugurée en mars-avril 2020, et qui a vu toutes les directions du renseignement changer de chef d’un seul coup, dans la foulée de la vague de limogeages systématiques ayant ciblé tous les anciens proches collaborateurs du général Gaïd Salah, ancien chef d’état-major, subitement décédé en décembre 2019. Depuis lors, l’instabilité chronique est devenue la norme de tous les services de renseignement algériens.

Selon un communiqué du ministère algérien de la Défense, l’installation du nouveau patron de la DCSA intervient en vertu d’un décret présidentiel daté du 8 décembre courant. Ce décret est resté, cette fois-ci, bien gardé secret, puisque, fait rarissime, le limogeage de Mahrez Djeribi, annoncé ce samedi, a échappé à l’indiscrétion de la rumeur, qui a souvent eu la primeur d’annoncer, plusieurs jours auparavant, les interminables changements à la tête des services de renseignement locaux. Les deux précédents limogeages ont été annoncés d’abord par la rumeur, avant leur confirmation officielle, comme ce fut le cas, en mai dernier, à l’occasion de l’éviction-surprise et de l’emprisonnement de Nasser El Djinn, annoncés une semaine plus tôt, avant la confirmation de son remplacement par le général Hassan à la tête de la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure).

Concernant ce dernier, une autre folle rumeur circule actuellement et laisse entendre qu’un directeur adjoint, en la personne du général Mounir Zahi, a été nommé à la DGSI. Cette nomination, si elle venait à être confirmée, ne serait pas sans rappeler le limogeage du général Wassini Bouazza en avril 2020, qui a commencé par la désignation d’Abdelghani Rachedi comme adjoint de la DGSI, avant qu’il n’en devienne le patron quelques jours plus tard.

Ces subterfuges, rumeurs et purges interminables sont symptomatiques de la peur d’un régime politico-militaire qui, à l’instar des lois liberticides qu’il ne cesse d’adopter et du musèlement répressif qu’il répand à grande échelle contre toute forme d’opposition, a fait de l’instabilité chronique et structurelle des services de renseignement un mode de survie.

Depuis avril 2020, soit en l’espace de cinq ans et neuf mois, Saïd Chengriha a installé les 14 généraux qui se sont succédé depuis à la tête des renseignements algériens.

Ainsi, c’est la DCSA qui va inaugurer cette instabilité périlleuse, avec le remplacement, en mars 2020, du général Mohamed Kaïdi par un proche de Chengriha, à savoir le général Sid Ali Ould Zmirli, limogé en septembre 2022. Il est remplacé à son tour par le général Abdelaziz Nouiouet Chouiter, qui ne fera que six mois à la tête de la DCSA, qu’il quittera en mars 2023 au profit du général (colonel au moment de sa nomination comme intérimaire) Mahrez Djeribi, limogé ce 13 décembre 2025.

Chengriha a également procédé à l’installation de six généraux successifs à la tête de la Direction générale de la documentation et de la sécurité extérieure (DDSE). Cette dernière a vu défiler successivement les généraux Mohamed-Bouzit, dit Youssef (du 16 avril 2020 au 20 janvier 2021), Nour-Eddine Makri (du 20 janvier 2021 au 15 mai 2022), Djamel Kehal Medjdoub (du 15 mai 2022 au 13 juillet 2022), Abdelghani Rachedi (du 20 juillet 2022 au 7 septembre 2022), Djabbar M’henna (du 7 septembre 2022 au 19 septembre 2024), et Rochdi Fethi Moussaoui, actuel patron de la DDSE depuis un peu plus de 14 mois.

De même, Chengriha a installé à la tête de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) quatre généraux, à commencer par Abdelghani Rachedi (avril 2020), Djamel Kehal Medjdoub (juillet 2022), Abdelkader Haddad, alias Nasser El-Djen, puis Abdelkader Aït Ouarabi, alias le général Hassan, à ce poste depuis le 22 mai 2025.

Ce turn-over inédit dans le monde a considérablement affaibli les renseignements algériens, qui ne sont plus en capacité de faire face aux défis sécuritaires. Les purges interminables ont aussi sapé le moral des officiers supérieurs, qui savent qu’un poste à la tête des renseignements conduit inévitablement soit à la prison, soit à la résidence surveillée. Résultat, l’Algérie est devenue «un livre ouvert», selon l’expression d’un diplomate européen qui était en poste à Alger.

À chaque installation d’un nouveau chef des renseignements, c’est le même communiqué qui est invariablement diffusé et dans lequel ne changent que le nom du général limogé et celui de son remplaçant. La raison du limogeage n’est jamais précisée, puisqu’il ne s’agit, ni plus ni moins, que de l’interminable lutte de pouvoir et de positionnement au sommet de l’État que se livrent sans relâche les généraux. En effet, les généraux limogés sont pour la plupart envoyés en prison avant d’être lourdement condamnés par une justice militaire expéditive.

Cependant, le nouveau changement à la tête de la DCSA intervient dans un contexte difficile pour le haut commandement de l’armée algérienne. Ce dernier est aujourd’hui accusé d’avoir mis sur pied des unités de mercenaires algériens pour mener des opérations secrètes au Sahel. Un autre communiqué du MDN algérien a également été diffusé samedi 13 décembre pour démentir ces accusations.

De même, et selon des informations relayées par le journaliste Abdou Semmar, de récentes fuites ont fait état de la situation dramatique et inhumaine que vivent les généraux emprisonnés. On y relate que, sous l’effet de la torture et du manque de soins, le général Wassini Bouazza est devenu infirme. Ou que le doyen des généraux embastillés, le moudjahid Saïd Bey (82 ans), est muni d’une poche urinaire à cause d’un cancer de la prostate au stade terminal, alors que le général Ali Akroum serait devenu totalement aveugle. Les généraux Bouzit, Lechkham, et d’autres encore seraient très mal en point à cause de maladies chroniques non soignées. Il n’est donc pas à écarter que le «jeune» général Mahrez Djeribi, fraîchement débarqué de la DCSA, aille rejoindre ces «épaves humaines» de la prison militaire de Blida. Car Djeribi a surtout été cité comme potentiel complice dans la fuite rocambolesque du général Nacer El Djinn, ancien patron de la DGSI, qui avait réussi à tromper la vigilance de la DCSA, chez laquelle il était en résidence surveillée.

Par Mohammed Ould Boah
Le 14/12/2025 à 10h54