Moins de 48 heures après son auto-nomination au poste de ministre délégué de la Défense, le chef d’état-major de l’armée algérienne, le général Saïd Chengriha, a tenu à montrer aux Algériens que le vrai patron du pays, c’est plus que jamais lui. Mercredi 20 novembre, et alors que les télévisions algériennes étaient occupées à relayer les passations de service et installations des nouveaux ministres nommés le lundi précédent, le général a détourné les projecteurs vers sa double casquette politico-militaire. Il a ainsi organisé un cérémonial martial visant à inaugurer sa nouvelle fonction de ministre délégué par l’annonce du limogeage du commandant des forces terrestres, le général Ammar Athmania, en fonction depuis le printemps 2020, et l’installation de son remplaçant, le général-major Mostafa Smaili.
Le général-major Ammar Athmania est notoirement connu pour ses désaccords de fond avec Chenrgiha. Bénéficiant du respect et de l’estime des officiers supérieurs, en raison notamment de sa pondération et de la mesure de ses propos, il représentait moins une menace pour Chengriha qu’une forme de prestige et de charisme qui font viscéralement défaut au chef d’état major de l’armée algérienne. D’après ce dernier, le général déchu a été limogé par un décret présidentiel daté du 12 novembre. En réalité, le président Abdelmadjid Tebboune, n’est en rien impliqué dans ce limogeage qui reste une décision personnelle de Saïd Chengriha.
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C’est ce que le nouveau ministre délégué a lui-même confirmé en affirmant, en guise de justification de cette décision: «J’ai veillé personnellement à ce que l’alternance aux postes et fonctions soit une tradition et une culture constantes, qui impulsent une nouvelle dynamique dans les rangs, notamment à la lumière des mutations accélérées que subit notre région, impliquant de nouveaux défis sécuritaires et des menaces complexes auxquels nous devons nous adapter en permanence.»
D’ailleurs, Abdelmadjid Tebboune, malgré ses titres de ministre de la Défense nationale et de Chef suprême de l’armée, évite de se prendre les pieds dans les rouages, intrigues et règlements de comptes permanents que se livrent les clans mafieux des généraux.
Il est vrai que depuis plus d’une année, et en prévision du second mandat de Tebboune, ses proches collaborateurs, syndiqués au sein de ce qu’on a coutume d’appeler «le clan présidentiel», n’ont eu de cesse de lui demander de prendre son courage à deux mains et de se séparer de Saïd Chengriha. Car celui qui est légalement son subordonné a inversé les rôles et l’empêche de gouverner en accaparant quasiment tous les pouvoirs, civils, militaires et même financiers, dévolus par la constitution au président de la République.
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C’est à l’aune de ces agissements, qui bruissaient dans les couloirs de la Mouradia, que plusieurs observateurs et opposants au régime algérien établis en Europe ont mis à nu, depuis quelques mois maintenant, de profonds désaccords entre Saïd Chengriha et Ammar Athmania, et n’écartaient pas un éventuel remplacement du premier par le second.
Mercredi, Saïd Chengriha a confirmé ces analyses, non seulement en inaugurant ses nouvelles fonctions de ministre délégué par le limogeage de son potentiel remplaçant à la tête de l’état-major militaire, mais aussi en se perdant dans des justifications farfelues en vue de prendre de vitesse ceux qui avaient prédit la chute imminente d’Athmania.
«Des voix et des porte-voix s’élèvent chaque fois qu’il y a un changement au sein de l’institution militaire qui, comme toute autre institution ou armée, peut connaître des changements naturels dans le cadre de l’alternance aux postes de responsabilité et fonctions», s’est plaint le général Saïd Chengriha. Que dire alors du limogeage de dizaines de généraux qui occupaient les plus hautes fonctions sécuritaires et militaires, traduits devant les tribunaux militaires, puis condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement? Cela relève-t-il de simples «changements naturels» et «d’alternance» aux hautes fonctions militaires?
À trop vouloir appuyer sur le bouton usé de la «complotite», en accusant lesdites «voix» de sortir «des interprétations et des analyses aussi fausses que tendancieuses», Chengriha a fini par insulter l’opinion publique algérienne qui se laisserait abreuver par la «diffusion d’informations mensongères et falsifiées» venues de l’extérieur, au détriment de celles, préfabriquées, ou «dahdouhistes» comme les appellent les Algériens, ressassées par les médias du pouvoir.
Pour effrayer cette opinion publique, dont on imagine le mécontentement à la suite de la catastrophique tournure de la présidentielle de septembre dernier, la nomination en début de cette semaine du pire gouvernement algérien depuis 1962, sans parler du quotidien difficile des Algériens confrontés à la dégradation drastique et continue de leur pouvoir d’achat et à d’interminables pénuries de produits de base, Saïd Chengriha s’est adonné à un discours de guerre qu’il pense mobilisateur.
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L’Algérie, a-t-il dit, «est prête à faire face, avec fermeté, à toutes les actions hostiles qui visent l’État national et ses symboles, en s’appuyant sur son riche patrimoine historique et son vaillant peuple qui, quelles que soient les circonstances, se mettra aux côtés de ses dirigeants, tel un seul homme, face à toute partie qui tend à nuire à l’Algérie». Si chef d’état-major de l’armée n’a jamais osé citer nommément les parties «hostiles» qu’il accuse de viser l’Algérie, il n’en demeure pas moins qu’il fait allusion au Maroc et à la France, qualifiés d’«officines de la subversion» pour avoir donné l’asile à des opposants persécutés par le régime algérien.
Chengriha s’est ainsi lamenté de prétendues «manœuvres, ourdies dans les officines de la subversion depuis l’étranger, et mises en œuvre par des traîtres et des vendus, qui nous ont habitués à ces agissements chaque fois que notre pays réaffirme ses positions constantes vis-à-vis des causes justes dans le monde ou exprime clairement son attachement à sa souveraineté et sa décision souveraine». Ce n’est certainement pas avec cette psychose paranoïaque que Saïd Chengriha gagnera l’estime de ses subordonnés.