Algérie: comment les Berbères furent floués par le FLN

Bernard Lugan.

ChroniqueSur le terrain, la guerre contre la France fut essentiellement menée par des Berbères dont les chefs étaient Abane Ramdane, Amirouche Aït Hamouda, Krim Belkacem ou encore Hocine Aït Hamed. Le berbérisme ayant été évacué de la revendication nationaliste au profit de l’arabo-islamisme qui devint la doctrine officielle du FLN, les Berbères furent donc floués.

Le 26/08/2025 à 10h59

La question identitaire est au cœur du non-dit et du mal-être de l’Algérie. Or, cette question remonte aux origines du courant nationaliste, quand il fut question de savoir si le pays était Berbère, Arabe, berbéro-arabe ou arabo-berbère. Au lendemain du second conflit mondial, la question divisa le courant nationaliste algérien. En 1947, lors du premier congrès du PPA/MTLD, les quatre Kabyles qui entrèrent au Comité central du parti, dont Hocine Aït-Ahmed, voulurent introduire la revendication berbère dans le calendrier de la lutte pour l’indépendance. En vain, car, en 1948, le MTLD, dans son appel à l’ONU, inscrivit la phrase suivante: «La nation algérienne, arabe et musulmane existe depuis le septième siècle».

Une telle affirmation ayant provoqué la fureur de sa composante berbère, en 1949, au sein de la section de métropole du PPA-MLTD, éclata alors la «crise berbériste». Cette grave rupture opposa les Kabyles voulant faire reconnaître la «berbérité» comme partie intégrante du nationalisme algérien à la direction arabo-islamique du mouvement.

Revenons sur la chronologie de la crise:

  1. Le Comité directeur de la Fédération de France du PPA/MTLD, largement dominé par les berbéristes, vota à une écrasante majorité une motion rejetant le postulat d’une Algérie arabe.
  2.  Après ce vote, les deux camps en vinrent aux mains et la police française qui ne comprenait rien à ces évènements arrêta plusieurs militants kabyles, ce qui fit croire à certains que leurs adversaires «arabistes» les avaient dénoncés.

En 1950-1951, la police ayant démantelé l’OS, ses membres accusèrent le PPA, notamment ceux qu’ils désignaient sous le nom de «centralistes», à savoir les membres du comité central du PPA/MTLD, «arabistes», de les avoir trahis, ce qui amplifia encore les oppositions.

«À travers cette «crise berbériste» qui divisa le mouvement nationaliste algérien en pleine phase de constitution, se posait en réalité la question de l’identité algérienne: était-elle exclusivement arabo-musulmane ou bien berbère et arabo-musulmane avec une antériorité berbère? »

—  Bernard Lugan

Mis en accusation pour «régionalisme» et «antinationalisme», les cadres kabyles furent ensuite écartés de la direction du parti, puis exclus, cependant que certains étaient assassinés, comme Ali Rabia en 1952.

À travers cette «crise berbériste» qui divisa le mouvement nationaliste algérien en pleine phase de constitution, se posait en réalité la question de l’identité algérienne: était-elle exclusivement arabo-musulmane ou bien berbère et arabo-musulmane avec une antériorité berbère?

Pour Messali Hadj, arabisme et islamisme étaient les éléments constitutifs sans lesquels l’Algérie algérienne ne pourrait pas faire «coaguler» ses populations. Pour la direction du PPA/MTLD, la réponse était donc évidente: l’Algérie était une composante de la nation arabe, sa religion était l’islam, et le berbérisme un moyen pour le colonisateur français de diviser les Algériens.

Les Berbéristes étaient, quant à eux, divisés en deux grands courants:

- Le premier donnait la priorité à la lutte pour l’indépendance, considérant que la question berbère serait posée ensuite, dans le cadre d’une Algérie algérienne.

-Le second voulait qu’avant de déclencher l’insurrection, il y ait accord sur les définitions futures.

Les membres du second courant furent écartés de la direction du PPA/MTLD, et ce fut alors que le Kabyle Hocine Aït-Ahmed perdit la direction de l’Organisation Spéciale au profit de l’Arabe Ben Bella. Cette guerre interne au courant nationaliste laissa des traces et l’opposition entre berbéristes et arabo-islamistes se prolongea durant la guerre. La liquidation d’Abane Ramdane, la marginalisation de Krim Belkacem et la mort d’Amirouche, s’inscrivent ainsi dans ce contexte de rivalité Arabes/Kabyles.

En dépit de leurs querelles personnelles, Ben Bella, Boussouf, Bentobbal, le Chaoui Boumediene, Bouteflika etc., partageaient une même priorité qui était de briser l’hégémonie kabyle sur le FLN-ALN. Or, sur le terrain, la guerre contre la France fut essentiellement menée par des Berbères dont les chefs étaient Abane Ramdane, Amirouche Aït Hamouda, Krim Belkacem ou encore Hocine Aït Hamed.

Le berbérisme ayant été évacué de la revendication nationaliste au profit de l’arabo-islamisme qui devint la doctrine officielle du FLN, les Berbères furent donc floués.

Par Bernard Lugan
Le 26/08/2025 à 10h59