Les restrictions aux libertés ont toujours été la marque de fabrique de l’Algérie, surtout dans celle dite «nouvelle Algérie», où même la liberté d’entreprendre et de commercer est loin d’être garantie. C’est ce que prouvent les interminables procès d’hommes d’affaires, dont des dizaines sont actuellement en prison, quand beaucoup sont soumis à une ISTN (interdiction de sortie du territoire national) et autres tracasseries. Même les petits commerçants algériens ont payé le lourd tribut de l’incurie du régime en écopant jusqu’à 30 ans de prison sous prétexte d’être des spéculateurs, alors que c’est le régime lui-même qui a causé l’actuelle flambée des prix en Algérie en interdisant l’importation des produits de première nécessité dans un pays qui ne produit pratiquement rien et n’exporte que les énergies fossiles.
Jeudi dernier, à la Foire de la production algérienne, qui se tient du 14 au 23 décembre, le président Abdelmadjid Tebboune a tenté de rassurer les chefs d’entreprise qui vivent mal ce climat d’incertitudes et de peurs. «Vous êtes sous protection», a-t-il dit à plusieurs reprises en s’adressant à différents entrepreneurs.
Ainsi, en passant devant les exposants du groupe Condor, spécialisé, entre autres, dans l’importation des produits alimentaires et le montage des appareils électroniques et électroménagers, Tebboune leur a déclaré, sous le ton de l’assurance feinte: «Vous êtes en train de sauver le pays. Vous êtes sous protection». Au niveau du stand du groupe privé IRIS (pneumatique et électroménager), le président algérien a dit la même chose: «Personne n’osera saboter l’industrie algérienne, vous êtes sous la protection de l’État».
«Sous protection» contre qui? Du moment qu’il s’agit d’activités civiles, absolument normales, pourquoi dès lors parler de protéger des chefs d’entreprise? Cela n’existe nulle part ailleurs dans le monde et apporte la preuve que l’Algérie est un État failli où même les entreprises sont sous le coup d’une menace occulte.
À part la mafia des généraux qui les rackette régulièrement, quelle autre menace pèse sur les entrepreneurs algériens au point d’être rassurés quant à leur protection par l’État? Ces nouvelles tebbouneries prouvent, s’il en est encore besoin, que l’Algérie est vraiment le «pays du monde à l’envers», selon l’expression des auteurs du Mal algérien où même les entrepreneurs qui mènent légalement des activités économiques et commerciales ne se sentent pas en sécurité dans leur propre pays. Dès lors, on comprend qu’il est impossible d’investir dans ce pays, dont l’économie tourne en vase clos et profite au seul régime.
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C’est d’ailleurs ce qui transparait au détour d’une autre phrase de Tebboune qui a salué les «efforts des industriels honnêtes qui se sont adaptés à la nouvelle politique nationale et grâce auxquels des devises sont économisées». Une déclaration qui semble avoir plu au chef d’État-major de l’armée, le général Saïd Chengriha, toujours présent à ses côtés, qui a émis brièvement ses instructions en vue d’élever le degré d’intégration dans le montage industriel, et économiser ainsi des devises. Ses balivernes ne trompent d’ailleurs personne: la junte vit rondement des importations, encouragées par le double système de change qui lui permet de gagner des sommes considérables sans bouger le petit doigt.
La pratique la plus courante chez les généraux véreux, c’est de payer des produits fictifs ou de surfacturer des produits réels à l’importation au taux de change de la Banque d’Algérie, qui correspond à 134 dinars algériens pour l’achat d’un dollar. Ensuite, revendre ces précieux dollars au taux réel du marché parallèle qui correspond à 220 dinars algériens pour un dollar. Une opération tellement courante, tellement rentable et tellement facile que le régime algérien ne fait rien pour lutter contre le double taux de change dans le pays, parce qu’il enrichit les pontes de la junte et leur progéniture.
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Les déclarations de Tebboune ne sont pas pour rassurer les entrepreneurs algériens qui se sentent toujours en danger, de faillite ou d’emprisonnement, à cause de ce système de gouvernance politico-militaire qui perdure en Algérie. La sonnette d’alarme sur cette situation précaire que vivent les entreprises privées en Algérie a été tirée à travers une lettre que la présidente de la Confédération générale des entreprises algériennes, Saïda Neghza, avait adressée à Tebboune en septembre dernier.
Avant de fuir vers Paris où elle est toujours en exil, elle y a dénoncé le climat délétère des affaires, marqué par le clientélisme, le favoritisme et les règlements de comptes politiques qui ont fini par mettre en lambeaux le tissu des entreprises algériennes, dont les patrons sont injustement traînés en justice, soumis illégalement à des redressements fiscaux et au paiement de lourdes amendes, tout en étant interdits d’importer quoi que ce soit.
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Bien évidemment, quand Tebboune parle de protéger les entrepreneurs algériens, ce n’est pas de protectionnisme économique qu’il s’agit, car l’Algérie ne produit quasiment rien, à part le pétrole et le gaz naturel. Ses entreprises ne sont donc pas concurrentielles à l’international, car elles transforment rarement les matières premières locales, mais sont plutôt spécialisées dans le montage de produits importés, à l’instar de ce que l’on appelle l’«industrie militaire algérienne». En visitant en priorité le stand du ministère de la Défense, Tebboune a lâché, comme à son habitude, un chiffre farfelu en annonçant que l’armée a atteint 40% «d’intégration» dans sa production industrielle.
Or, le produit phare présenté par les industriels militaires à Tebboune, lors de cette 31ème Foire de la production algérienne, n’est autre qu’un fusil de chasse façonné dans les ateliers de l’armée. Ce qui n’a pas empêché le président algérien de demander aux généraux d’assurer l’autosuffisance du pays en ce genre de fusil, qui relève plus de l’artisanal que de l’industriel.