Algérie: à Silly Land, le régime autorise les cabas…mais ferme l’accès à la devise

Le président algérien Abdelmadjid Tebboune.

Le président algérien Abdelmadjid Tebboune.. AFP or licensors

D’un côté, le gouvernement algérien autorise les «auto-importateurs» à importer jusqu’à 24.000 euros de marchandises par mois. De l’autre, il leur interdit de sortir plus de 7.500 euros…par an. Bienvenue en Absurdistan, où la valise de la contrebande peut circuler librement mais pas la devise pour la remplir. Décryptage.

Le 08/07/2025 à 11h29

Le régime algérien voulait encadrer la contrebande. Il a fini par l’officialiser. Avec le décret n°25-170 du 28 juin 2025, signé en grande pompe par le Premier ministre Nadir Larbaoui sous les auspices du président de la République algérienne, l’Algérie entrait dans une nouvelle ère: celle du trafiquant certifié. Une innovation juridique comme seul Abdelmadjid Tebboune peut en sortir de son chapeau mais qui n’a pas tardé à produire ses premiers effets… catastrophiques.

Ce décret qui sent bon la débrouille organisée autorise les jeunes titulaires du statut d’auto-entrepreneur à importer jusqu’à 12.000 euros de marchandises tous les quinze jours. 24.000 euros par mois. On passera cette fois sur la véritable hérésie économique que la mesure représente. Mais ce décret, accueilli avec des youyous dans les quartiers commerçants, pose plusieurs soucis.

Le premier est d’ordre juridique. Le décision repose sur un principe simple mais bancal. Pour importer, il faut acheter des devises. Or, où les trouver? À la banque? Non, bien sûr. Il faut aller au fameux Square, le centre névralgique du marché parallèle, que la loi algérienne ne reconnaît pas, mais que le décret valide de fait. Techniquement, le décret reconnaît le recours au marché noir, normalement proscrit, puisqu’il autorise l’ouverture de comptes en devises sans jamais préciser d’où vient l’argent. Un aveu gênant pour un État qui, en théorie, interdit toute transaction en dehors du circuit officiel.

La loi sur le crédit et la monnaie, votée par le Parlement, ne reconnaît pas le marché parallèle. Mais le décret du Premier ministre, inférieur hiérarchiquement, l’entérine. Une contradiction que même les juristes les plus habiles ont du mal à justifier. Le jeune entrepreneur, donc, ira acheter ses euros au Square à un taux quasiment deux fois supérieur au taux officiel. Car la Banque d’Algérie, elle, affiche un euro à 152 dinars, pendant que le marché parallèle le propose à 265 dinars. Il les dépose ensuite sur un compte en devises dûment ouvert… et tout cela sans que personne ne lui demande d’où vient l’argent. Si ce n’est pas du blanchiment à grande échelle, cela y ressemble fort.

24.000 euros par mois en théorie contre 7.500 euros par an en pratique

Mais il y a mieux et c’est là où le génie du régime algérien et de son président présumé atteint des sommets. Le même État, qui autorise jusqu’à 24.000 euros de contrebande par tête de pipe et par mois, interdit en fait à tout Algérien de sortir plus de 7.500 euros…par an. En effet, la décision 24-05 de la Banque d’Algérie «interdit à tout Algérien de sortir plus de 7.500 euros». Pas par mois, par an. Un plafond absolu, que vous soyez chômeur ou chef d’entreprise.

Résumons. En théorie, vous avez le droit d’importer pour 24.000 euros par mois. Mais en pratique, vous ne pouvez sortir qu’une seule fois 7.500 euros par an. Soit moins que le budget nécessaire pour un seul cabas.

Ce tour de passe-passe administratif illustre l’un des sports favoris du régime algérien: avancer à hue et à dia. Il ouvre la porte à l’importation via les valises des petits commerçants… tout en verrouillant les canaux officiels des devises. Résultat: une légalisation partielle du commerce informel, mais sans la cohérence législative qui l’accompagne.

Le régime d’Alger fait ainsi du libéralisme à pas comptés. Il permet au peuple de commercer dans l’illégalité et l’informel pour s’assurer une hypothétique paix sociale. Mais oublie que toutes les lois du pays doivent suivre. Il autorise les valises, mais pas les virements. Et surtout, il continue de faire semblant d’ignorer ce qu’il valide lui-même: le crime organisé.

Pendant ce temps, et quelques jours après l’entrée en vigueur du texte sur les cabas, le marché a réagi avec la froide rationalité qui le caractérise: l’euro s’est envolé à 265 dinars sur le marché parallèle, pulvérisant tous les plafonds précédents. Un record historique. Ou pour être plus précis: une chute historique du dinar. Et ce n’est pas fini, la dégringolade du dinar fera sans doute exploser le seuil d’un euro contre 300 dinars avant la fin de l’année.

Autrement dit, le seul gain visible de cette régularisation de la contrebande a été... la perte de valeur de la monnaie nationale qui ne valait déjà pas grand chose. Du pur Abdelmadjid Tebboune: on prend des décisions hâtives et mal calculées, on les présente comme s’il s’agissait des trouvailles du siècle pour, juste après, se prendre une avalanche de contre-effets et revenir à la case départ. Ainsi en est-il allé de la dotation touristique de 750 euros par an (contre 100 actuellement) annoncée tambour battant mais que les Algériens attendent toujours. Et ne verront jamais.

Le dinar en chute libre

Pensée comme une mesure de libéralisation de la «micro-importation», cette loi a lieu dans un pays où le dinar officiel n’ouvre même plus les portes d’un duty free. Le résultat, c’est une demande massive en devises, une offre restreinte et un taux qui flambe plus vite qu’un barbecue au gaz…algérien. De l’avis de nombreux observateurs, l’euro va dépasser les 300 dinars dans les semaines à venir, si rien n’est fait. Et rien ne laisse présager que quelque chose sera fait.

Il y a aussi cette huitième merveille du monde sise Al Mouradia. Le décret impose aux «auto-importateurs» de ne pas être salariés, commerçants ou bénéficiaires d’aides sociales. En clair: ils doivent être officiellement inactifs. Mais alors, comment un chômeur peut-il légalement justifier 12.000 euros en espèces pour chaque voyage, deux fois par mois? La réponse est évidente. Cette loi n’encadre pas la contrebande, elle encadre le blanchiment. Elle offre même aux réseaux informels un mécanisme d’écoulement et de recyclage de fonds occultes, le tout sous couvert de «micro-commerce transfrontalier».

Derrière les discours sur la «formalisation» de l’informel se cache un constat bien plus dramatique: la disparition de toute logique économique ou politique monétaire en Algérie. Tandis que le dinar s’effondre, les étudiants algériens à l’étranger, les malades devant se faire soigner hors du pays ou les familles dispersées entre deux rives deviennent les grandes victimes collatérales. Avec un euro devenu inaccessible, seuls ceux qui baignent dans les réseaux informels pourront continuer à voyager, acheter, importer et vivre en devises.

Pendant ce temps, les rares investisseurs étrangers qui envisageaient encore de produire localement et d’ouvrir des magasins de vêtements, de cosmétiques ou de chaussures peuvent remballer leurs projets. Il faut être fou pour s’installer dans un pays où la contrebande est plus rentable que l’industrie. En parlant de folie, le décret 25-170 aura au moins réussi une prouesse. Celle de prouver, une fois encore, que la frontière entre «génie» politique et désastre économique peut se résumer à un seul homme: Abdelmadjid Tebboune.

Par Tarik Qattab
Le 08/07/2025 à 11h29