Plusieurs semaines après son lancement, et après avoir le secoué tant le microcosme économique que le gouvernement et le Parlement, le boycott de trois marques commerciales au Maroc continue de nourrir débats, polémiques et même accrochages. Le sujet était d’ailleurs au cœur des échanges lors de l’émission de débat «Kadaya wa Ara’e» diffusée hier, mardi 12 juin, à 23 h sur Al Oula.
Spécialiste des réseaux sociaux, Merouane Harmach revient d’abord sur le succès phénoménal de la campagne de boycott sur le Web: en tout, celle-ci a généré 240.000 posts et quelque 9 millions d’interactions. Mais une chose est sûre, il est difficile de définir la source de cette campagne. Et si quantitativement, les chiffres sont au rendez-vous, des lacunes «qualitatives» sont à observer, dit-il. La campagne suppose l'existence d'un mouvement de conscientisation au sein de la société, mais le fait est que le motif (la hausse des prix de ces produits) n’en est pas un. D’une part, il n’y a pas eu hausse des prix et ceux-ci sont réglementés. D’autre part, on assiste à une profusion de fausses rumeurs, soit ces fake news qui cherchent à influencer l'opinion publique selon les intérêts du moment. Les exemples, et rien que pour ces 10 derniers jours du ramadan, sont légion. De la découverte d’un trésor en pleine montagne aux anges apparus à Meknès, en passant par la (fausse) participation d’un boycotter à une émission de la télévision publique et l’instauration d’une taxe spéciale pour financer Morocco 2026, «il n'y a désormais plus de maillon de contrôle de l'info entre son émission sur les réseaux sociaux et sa répercussion sur le citoyen», dit-il.
L’impact, c’est surtout l’agriculteur qui l’a ressenti. Le boycott a complètement terrassé les éleveurs avec une réduction de 30% de la production. Quand on sait que la filière laitière fait vivre 1,4 million de Marocains, qu’il s’agit du 2e secteur agricole employeur (450.000 postes) et que 120.000 éleveurs sont touchés par le boycott «Centrale Danone», il y a lieu de s’inquiéter. Ceci, alors que le ministère de l'Agriculture a investi 5,3 milliards de dirhams dans ce secteur dans le cadre du plan Maroc Vert et 3,2 milliards dans les unités de transformation. D'où la question sur la pertinence même de la campagne de boycott.
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L'intelligence émotionnelle, au nom du pouvoir d’achat, a ainsi pris le dessus sur les facteurs rationnels et la réalité du terrain, notamment en ce qui concerne la stabilité des prix. Témoignant d’une crise de confiance avec les élites politiques et économiques, le mouvement de boycott a également été marqué par des bourdes de communication des responsables officiels qui n’ont fait qu’aggraver cette situation. Le mutisme des principaux concernés n’a ainsi eu d’égal que le caractère déplacé de certaines sorties de ministres. En face, nous avons assisté à une approche manichéenne et sectaire des partisans du boycott qui contribue à un conditionnement forcé des citoyens et une tendance à accuser de traîtrise toute personne dont la position se démarque de la «communauté». Entre les uns et les autres, un dialogue de sourds règne.
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La solution, ce sont certains citoyens, interrogés dans le cadre d'un micro-trottoir, qui en proposent les jalons. A commencer par l’impératif pour le gouvernement d’intervenir pour préserver les intérêts des agriculteurs. Tout en protégeant l’investissement étranger, l’Etat se doit également d’exercer son contrôle sur la structure des prix, et ce au profit des consommateurs. Le boycott, lui, gagnerait à être plus encadré pour ne pas perturber les équilibres économiques.
En réaction, Mohamed Ziwani (coopérative agricole Sidi Kacem), rappelle la nécessité de sauver l’agriculteur qui va être confronté à un endettement endémique. Hassan Bouselmane, du ministère en charge de la Gouvernance rappelle, lui, que la libre concurrence est la règle, la réglementation l’exception. Ce à quoi Mohamed Harakat, professeur d’économie politique à l’Université Mohammed VI rétorque que cette liberté suppose une vision économique inexistante et des salaires conséquents, alors que ceux-ci sont gelés depuis 2011. «Ajoutez à cela la démocratisation d’internet et l’absence d’espaces de médiation et vous vous retrouvez avec un face à face entre consommateurs et entreprises», dit-il.
Pour le sociologue Fawzi Boukhriss, on ne peut pas expliquer le boycott actuel sans rappeler l'échec du modèle économique et celui des partis politiques dans l'encadrement de la participation citoyenne. Autant dire que tout est à faire.