Une association tunisienne décerne le prix de l’éthique journalistique à Taoufik Bouachrine, incarcéré pour agression sexuelle et traite d’êtres humains

Taoufik Bouachrine.. DR

En remettant un titre honorifique à un journaliste accusé de faits graves par ses victimes, elles aussi journalistes, l’association Yakadha, «Vigilance pour la démocratie et l’Etat civique», a fait preuve d’un cynisme qui dépasse tout entendement.

Le 31/05/2023 à 09h15

Chaque année depuis 2016, l’association Yakadha, «Vigilance pour la démocratie et l’Etat civique», remet le Prix maghrébin pour la déontologie journalistique en hommage à Néjiba Hamrouni, journaliste et ex-présidente du Syndicat national des journalistes tunisiens, décédée cette même année des suites d’une longue maladie.

Ce prix maghrébin a ainsi pour but de célébrer l’éthique journalistique des hommes et des femmes du quatrième pouvoir. Mais cette année, l’association Yakadha a décidé d’attribuer ce prix symbolique à Taoufik Bouachrine, journaliste marocain qui purge actuellement une peine de prison pour traite d’êtres humains et agression sexuelle contre des femmes journalistes qui travaillaient sous son autorité.

Une décision aussi surprenante que choquante pour ses victimes que l’association Yadakha justifie en déclarant s’être appuyée sur les recommandations du Groupe de travail sur la détention arbitraire des Nations unies. Or, c’est ce même groupe onusien qui avait, dans le même temps, réclamé la libération de Taoufik Bouachrine tout en affirmant son soutien total aux victimes, pour finir par désavouer ses recommandations initiales.

Dans une lettre ouverte intitulée «Bouachrine et le prix Néjiba Hamrouni… Quelle ironie!», Me Aïcha Guellaa, présidente de l’Association marocaine du droit des victimes (AMDV) et membre du comité de défense des victimes de Taoufik Bouachrine, a fait part de sa surprise. L’avocate marocaine s’est ainsi indignée qu’un prix censé rendre hommage à l’action d’une femme journaliste et syndicaliste en faveur de la liberté d’expression, en l’occurrence Néjiba Hamrouni, soit décerné «à un violeur qui s’en est pris de surcroît à des femmes journalistes». Me Guellaa estime ainsi que «par respect pour sa mémoire, il aurait fallu éviter de le décerner» à Taoufik Bouachrine.

Par ailleurs, poursuit la présidente de l’AMDV, «le fait que l’association ait choisi de prendre exclusivement en considération les allégations du violeur, en ignorant complètement la version des faits des victimes violées, soulève certaines questions sur les critères et les motivations de l’attribution de ce prix». Ainsi, «la dignité des victimes de Taoufik Bouachrine, même si elle demeure meurtrie, a bien plus de valeur qu’un prix symbolique, ne serait-ce que pour le courage et l’audace dont elles ont su faire preuve au sein d’une société patriarcale et conservatrice».

Me Guellaa conclut sa lettre avec une pensée pour Asma El Hallaoui, l’une des victimes de Taoufik Bouachrine qui a enduré cinq ans d’abus physiques et psychologiques, avant de rendre l’âme en mettant au monde un enfant.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 31/05/2023 à 09h15